Rencontre avec... Bouglione

24 Mars 2005 | par

J'ai été baptisé, mais ma communion je l'ai faite le jour de mon mariage. A cette époque, on était itinérant. Aujourd'hui c'est plus facile, on peut faire des baptêmes sur la piste. Je n'y vais pas régulièrement, mais quand je peux j'aime entrer dans une église quand il n'y a personne. C'est là que je me sens le mieux, dans le calme, la sérénité.

Qui priez-vous ?
La Sainte Vierge, le Chef (c'est sa manière d'évoquer Jésus, ndr), d'autres saints, ses adjoints, ses conseillers... ça dépend de ce dont j'ai besoin, des moments que je vis.

Ce cirque est familial. Quels furent vos débuts ?
J'ai toujours été dans le cirque... depuis l'âge de 5 ans et demi. D'abord on touche à tout, puis on se spécialise : acrobate, jongleur, écuyer, dompteur... Moi, j'ai été dresseur d'éléphants pendant à peu près vingt ans. Ma femme, elle, était acrobate.

Vous avez d'abord été itinérant, mais aujourd'hui vous ne l'êtes plus...
Il y avait le cirque Bouglione itinérant et le cirque Bouglione à Paris. Il n'y a plus d'itinérants parce qu'on rencontre trop de difficultés avec les municipalités. C'est déjà un métier difficile, alors quand on arrive dans une ville et qu'on est rejeté à la périphérie, sur des tas d'ordures ou dans des zones industrielles, ça ne nous intéresse pas.

Est-on plus croyants chez les gens du voyage ? Chez les itinérants ?
Pas plus qu'ailleurs. Chez les gens du voyage, il y a beaucoup de ce qu'on appelle des chrétiens évangéliques, issus du protestantisme. On en compte 35 000 ou 40 000 ! Ils baptisent par immersion...

Les artistes du cirque exerçant un métier à risques, comme les acrobates et les dompteurs, sont-ils plus croyants que les autres ? Ou plus superstitieux ?
Ils ont leur foi personnelle. Entre nous, on n'en parle pas, mais la plupart des gens de cirque sont croyants. Certains s'accrochent à des gestes... Ce sont de petites choses, mais avec le temps, les gens ont évolué. Rien ne porte bonheur ; rien ne porte malheur... Les clowns qui n'ont pas un métier à risques font aussi le signe de croix avant d'entrer en piste.

Y a-t-il des gestes particuliers dans le milieu du cirque ?
Oui, mais c'était plus courant chez les vieux artistes que chez ceux d'aujourd'hui. Il y a des trucs : on ne siffle pas dans une loge s'il y a quelqu'un, sinon il faut sortir, faire trois tours et revenir. On n'offre pas d'œillets à un artiste de cirque ; on ne tourne pas le dos à la piste... L'origine de tout cela ? Je ne la connais pas. Ça ne m'intéresse pas non plus.

Cette année, à Noël, la messe télévisée de minuit a eu lieu au cirque Gruss. Ce doit être beau une messe dans un cirque ! Feriez-vous la même chose ?
On en a déjà célébré beaucoup chez nous, de messes de minuit.

Qui préside ces célébrations ? Avez-vous un aumônier ?
Il y a un aumônier des gens du voyage, mais je ne sais pas où il habite. Nous avons un présentateur ici, Sergio, qui est diacre. Quand nous avons un baptême, un enterrement, une messe, un mariage, un prêtre vient et Sergio l'accompagne.

Votre public est très jeune... Pourquoi ?
C'est mélangé. On dit toujours que le cirque est un spectacle pour les enfants, c'est faux. Le cirque est un spectacle de famille où l'on peut emmener les enfants. Il y a de la recherche, de la mise en scène, de la lumière, de la musique, des costumes. Ce n'est plus le cirque d'il y a vingt ou trente ans, c'est un cirque évolutif.
Nous, Bouglione, nous faisons un cirque que les autres ne font pas. On est très différents des autres cirques. Les autres sont des cirques d'enfant, Bouglione est un cirque pour adultes et pour enfants. Nous nous sommes aperçus depuis longtemps que si l'on prend les enfants pour des enfants, ça ne fonctionne pas. Nos danseuses sont très pudiques, le spectacle est à la portée de tous. Certes, les gens ont dans l'esprit que c'est uniquement pour les enfants, mais ce qui est bizarre, c'est qu'un enfant emmène cinq adultes. Les enfants sont pour eux un prétexte. Les gens, après le spectacle, nous disent : Si on avait su que c'était comme ça, on serait revenus plus vite ... Ils ne s'attendent pas à ce que nous leur présentons.

Que pensez-vous du monde d'au-jourd'hui ? Le cirque peut-il contribuer à détendre les esprits, à diminuer la violence ?
C'est un monde désespéré... mais j'ai de l'espoir. Cependant, je ne crois pas que le cirque puisse changer le climat ; pas plus que le théâtre ou le cinéma. C'est un moment de divertissement qui dure une ou deux heures, dont on garde un bon souvenir, mais je ne crois pas que les artistes puissent changer la face du monde. On peut apporter du bien-être, un peu de bonheur, un dépaysement. Laissez vos ennuis et vos soucis à la porte, vous êtes chez Bouglione, c'est là que la joie rayonne : voilà notre devise. Nous permettons aux gens de rêver les yeux ouverts mais ce n'est pas pour la vie, malheureusement ! En tout cas, je n'ai pas cette prétention.

Auriez-vous un conseil à donner aux jeunes ?
Qu'ils aient des valeurs, qu'ils soient beaucoup plus respectueux de la vie qu'ils ne le sont ; qu'ils respectent les personnes âgées, leurs parents, leurs amis, et qu'ils se comportent un peu mieux. La majorité de la jeunesse n'a plus de valeurs de référence. J'ai l'impression qu'ils se moquent de tout. Autrefois, quand on bousculait quelqu'un on disait pardon ; quand on entrait quelque part, on enlevait sa casquette.

D'autres valeurs aussi ?
Quand on a le respect du travail et le respect des autres, c'est déjà pas mal, car alors on se respecte soi-même.

Avez-vous envie de dire quelque chose sur vous que je ne vous ai pas demandé ?
C'est la première fois que l'on me pose une telle question.
J'essaie de mener ma vie le mieux possible, d'être le plus droit possible, de défendre les valeurs que dans ma famille certaines personnes ont perdues. J'essaie de respecter ce que mes parents ont fait durant toute leur vie pour nous laisser ce bien-être ; d'être juste... je ne sais pas si j'y arrive tous les jours. Parfois une bonne parole de consolation fait plus plaisir que n'importe quoi. J'essaie d'aider mon prochain. Nous avons fait un gala pour une association qui s'occupe de la santé des enfants, j'ai mis toute la maison à leur disposition gratuitement, parce que ça me touchait que l'on fasse quelque chose pour les enfants. Mais j'attends encore que les organisateurs viennent seulement me dire bonjour... C'est désolant !


QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

A chaque rencontre, ses réponses à notre questionnaire de Saint Antoine ... Aujourd'hui, notre interlocuteur est Bouglione.

Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ?
Oui bien sûr, quand on perd quelque chose, c'est toujours à lui qu'on s'adresse.

Vous sentez-vous proche de Dieu ou est-Il proche de vous ?
Je suis peut-être plus sûrement proche de Lui que Lui proche de moi.

Où trouvez-vous votre force ?
Dans ma volonté de vivre à tout prix, de réussir car j'ai une grande famille derrière moi, qui travaille.

Vous dites qu'on ne peut pas changer le monde et en même temps vous avez de l'espoir... N'est-il pas possible de le rendre meilleur, ce monde ?
Il y a toujours de l'espoir. A condition d'abord que les gens s'améliorent eux-mêmes, regardent autour d'eux, en arrêtant de vouloir ce qu'ont les autres, d'être jaloux. Quand je vois quelqu'un qui réussit, ça me fait plaisir. Si je vois quelqu'un dans la misère, ça me fait de la peine. Quelqu'un qui n'est pas heureux, ça m'ennuie ; quelqu'un qui est handicapé, ça me fait mal ; un gosse malade, ça me touche. Lorsque je peux faire quelque chose de bien pour mon prochain, je le fais.

Faites-vous la charité ?
Oui beaucoup.

 

Updated on 06 Octobre 2016