Rencontre avec... Jacques Séguéla

15 Février 2007 | par

Notre rencontre a lieu le lendemain de la mort de l’Abbé Pierre. Voyez-vous des similitudes entre lui et sœur Marguerite ?
Bien sûr ! Ils sont tous les deux des exemples d’une vie donnée aux autres. Imaginez que sœur Marguerite, du haut de son mètre cinquante, a sauvé 30 000 Congolais de la misère ! Quant à l’Abbé Pierre, le « pape des pauvres », comme titrait un quotidien le lendemain de sa mort, il a, je pense, fait pour l’Eglise beaucoup plus que tous les discours du Vatican.
A un moment où les déplacements fastueux et très médiatiques du Pape font de lui un “people”, l’Abbé Pierre, sœur Marguerite, mais aussi Sœur Emmanuelle ou Mère Teresa, font émerger une nouvelle religion : la religion de la générosité. Aujourd’hui, je pense que l’Eglise catholique fait fausse route : je crois beaucoup plus à une religion laïque qui, tout en défendant les valeurs chrétiennes, prouverait son engagement par l’action. L’action a plus de poids que toutes les belles paroles, fussent-elles célestes !

Si le Pape vous demandait d’assurer la campagne de communication de l’Eglise, que feriez-vous ?
Je commencerais par lui dire non sum dignus, en souvenir des années où je servais la messe ! Puis, je serais radical : à la manière de Ségolène Royal, j’amorcerais une grande réforme participative sur la façon de vivre de l’Eglise, je l’ouvrirais davantage au monde en “debunkerisant” le Vatican, et je mettrais en avant ses forces de terrain, ces milliers d’Abbé Pierre et de Sœur Marguerite qui œuvrent dans l’ombre. Afin que, dans l’esprit des gens, l’Eglise soit présente dans la rue, et pas simplement dans les cathédrales ou au Vatican. Enfin, puisque le fondement du christianisme repose sur l’amour et la justice, j’encouragerais l’Eglise à combattre la pire injustice actuelle : l’inégalité face à l’éducation, la cause dont s’est saisie sœur Marguerite, en créant une école au Congo.

Comment avez-vous rencontré cette “force de terrain” qu’est sœur Marguerite ?
C’est un ami prêtre qui m’a parlé d’elle. Il me demandait conseil sur la manière de faire perdurer l’action de la religieuse au Congo. Pour moi, c’était évident. Vu ce qu’il me racontait de son histoire, il fallait que la sœur écrive un livre.
« D’accord, m’a-t-elle dit le jour où je l’ai rencontrée, mais ce livre, c’est vous qui allez l’écrire. » Comment dire non à une femme qui toute sa vie a dit oui ? Cela tombait pourtant assez mal : non seulement j’avais un autre livre sous le coude, mais en plus j’étais athée, je ne connaissais pas le Congo… Quant à mon domaine de prédilection, c’est plus la communication que l’éducation… Pourtant, j’ai dit oui, et nous nous sommes mis au travail dès le lendemain !

Qu’est-ce qui vous a touché chez elle ?
On ne peut qu’être sous le charme devant ce petit bout de femme qui vous regarde avec ses yeux de 20 ans, ses yeux de sainte. sœur Marguerite, “sœur Courage” comme je l’appelle, c’est quelques grammes de tendresse dans un monde de brutes. Elle a une force de conviction étonnante. Je suis un grand enfant qui aime les belles histoires ; celle de Marguerite m’a bouleversé. Cette religieuse, c’est l’apôtre de la bonté, et son exemple m’interpelle, me pousse à me demander : « Et moi, qu’ai-je fait pour les autres ? »
Une chose m’a touché également : le premier souvenir que j’ai de mon enfance, après le sourire de ma mère, est celui de la cornette de sœur Joseph, elle aussi fille de l’Ordre de Saint-Vincent. C’est elle qui veillait sur moi à la crèche, et sa tendresse, son rayonnement ont peuplé mes premiers pas. Quand nous avons déménagé à Perpignan, c’est à nouveau chez les Sœurs de la Charité que j’ai fait mon entrée en maternelle. Etonnante coïncidence…

Effectivement, saint Vincent de Paul vous poursuit…
Avec sa manie de toujours tirer la couverture à Dieu, sœur Marguerite y verrait sûrement un signe divin ! Ceci dit, je pense, comme Jacques Prévert, que « le hasard ne frappe jamais par hasard ».

Quelle place tenait le spirituel dans votre vie avant votre rencontre avec “Sœur Courage” ?
Tous les ingrédients étaient réunis dans mon enfance pour faire de moi un grand croyant ! Ma mère, d’origine protestante, vivait sa foi dans les deux confessions et m’emmenait aussi bien au temple qu’à l’église, où, comme je vous l’ai dit, j’étais servant de messe. Et puis, il y a eu cet épisode malheureux de l’internat chez les Jésuites à Montpellier. Là, c’était trop ! Levés tous les matins à 6 heures pour la messe, on n’avait pas le droit de parler dans les dortoirs, et au réfectoire, on nous lisait l’Ancien Testament ! Pour moi, c’était “Prison Break”, et c’est de là qu’est né mon instinct rebelle.
Après l’internat, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait contre.

Vous voulez dire “contre Dieu” ?
Non, pas contre Dieu, ce que je veux dire c’est que l’enfermement m’a très certainement permis de développer mon esprit créatif. Quant à Dieu, je l’ai juste gommé de ma vie, sans pour autant renier les valeurs chrétiennes d’amour, de respect et de générosité auxquelles je suis resté très attaché. Je respecte beaucoup la foi catholique, je sais qu’elle permet à certains de déplacer des montagnes…

La spiritualité est-elle compatible avec votre métier ?
C’est sûr que dans mon milieu d’intellos de gauche, socialiste sur les bords, c’est assez tendance d’être athée. Et je le revendiquais volontiers. Ce que je ne ferais plus aujourd’hui.
Ceci dit, ma rencontre avec sœur Marguerite n’a pas fait de moi un croyant. Pour moi, Dieu, ce sont les hommes. Je crois aux forces de l’esprit, à une force supérieure qui n’aurait pas d’autres pouvoirs que celui de la création. Mais je ne crois ni en l’Incarnation, ni en la Résurrection… Pour moi la mort, c’est un point final, même si, avec Woody Allen, j’ai envie de dire : « Je ne crois pas à une vie future, mais j’emporterai quand même des vêtements de rechange. » Si cela pouvait être vrai, je serais ravi… mais je n’ai toujours pas compris le “Pari de Pascal”.

On dirait que cela vous fait peur de croire…
S’il fallait recommencer une vie, et si j’avais le choix entre être croyant et être athée, je choisirais croyant, sans hésiter. Quand je vois sœur Marguerite, qui a donné toute sa vie aux autres et qui est heureuse, c’est sûr, cela fait se poser des questions. Mais par lâcheté, plus que par peur, je préfère me préserver en restant spectateur. Pour moi, “l’effet Marguerite”, c’est surtout une invitation à cultiver la bonté. Elle m’a fait prendre conscience également qu’une vie d’hommes sans actes tournés vers les autres est une vie ratée.
 
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*Sœur Courage, Jacques Séguéla et sœur Marguerite, Presses de la Renaissance.

QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Je connais la marque mais moins bien le produit ! Plus sérieusement, comme modèle de sainteté, je choisis sœur Marguerite sans hésiter.

Etes-vous déjà allé à Padoue ?
Oui, plusieurs fois. Pour des vacances, mais aussi pour le travail. J’ai demandé si je pouvais interviewer saint Antoine, on m’a dit qu’il était en déplacement !

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Quand j’ai commencé à écrire ce livre, j’étais athée. Aujourd’hui, je n’oserai plus me définir ainsi. Par sa bonté, sœur Marguerite m’a fait entreapercevoir Dieu. Pour moi cette bonté est la première marche vers lui. Aussi, quand je sens de la bonté autour de moi, quand moi-même j’en suis capable, on peut dire que je me sens proche de ce que vous appelez Dieu.

Où puisez-vous votre force ?
Dans l’action. C’est pour cette raison que j’aime l’écriture. Ecrire un mot sur une page blanche et ne m’arrêter que lorsqu’elle est noire, c’est très stimulant.

Vous arrive-t-il de prier ?
Non, je ne crois pas à la prière. Je crois à la réflexion, à la compassion, au pardon, mais pas à l’assistance de Dieu. Dans la prière, il y a un sentiment d’infériorité : on prie Dieu de bien vouloir nous guider… Est-ce que cela viendrait à l’esprit de quelqu’un de prier sa femme de l’aimer ? Si c’est le cas, c’est mauvais signe ! Pour moi, Dieu est amour, il n’est pas assistance.

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Ce livre. Je suis à un âge où on ne découvre plus grand-chose. Il était temps pour moi de toucher du doigt l’essentiel.

Updated on 06 Octobre 2016