Rencontre avec... Jean d'Ormesson

20 Février 2008 | par

 Quel est le sens de votre engagement en faveur des chrétiens d’Irak ?
J’ai écrit ce texte car on me l’a demandé. Je ne suis pourtant pas un grand signataire de pétitions ! Moi qui suis très sollicité et qui refuse quasiment tout, je n’ai pas hésité une seule seconde quand Pax Christi, en la personne de Mgr Stenger, évêque de Troyes, m’a demandé de lancer cet appel. Il s’agissait pour moi d’une sorte d’obligation à laquelle je ne pouvais pas me dérober.

Est-ce le croyant ou l’intellectuel qui s’engage ?
Je vous l’ai dit, je suis un très mauvais chrétien. Malgré tout, il m’a semblé que c’était important de marquer ma solidarité à l’égard de ces chrétiens malheureux. Je pense qu’ils sont les grands oubliés, on ne s’intéresse pas assez à leur sort…

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans le sort des chrétiens d’Irak, au point de décider de vous mobiliser ?
Pour être honnête, je connaissais
assez peu de choses sur les chrétiens d’Irak. Je suis allé au Liban, en Syrie, ou en Iran, mais jamais en Irak. D’ailleurs, je me suis souvent demandé pourquoi on s’intéressait – et à juste titre – aux chrétiens du Liban, et si peu à ceux d’Irak…
Savez-vous que les chrétiens d’Irak ne sont pas catholiques ? Ils sont essentiellement nestoriens, du nom de Nestorius, patriarche de Constantinople du 4e siècle. Celui-ci est venu condamner l’arianisme, un courant de pensée des débuts du christianisme, auquel je me suis un peu intéressé
dans mes différents travaux. Ce courant s’est interrogé sur la relation entre le Père et le Fils. Pour les disciples du théologien Arius, le Fils a beau être divin, il n’en demeure pas moins inférieur au Père. Nestorius considérera cette idée comme une hérésie, et affirmera, lui, la double nature – humaine et divine – du Christ, tout en refusant le dogme trinitaire. Cette thèse sera condamnée par Rome en 431. 
L’histoire des chrétiens d’Irak est passionnante ! Imaginez qu’ils sont pour ainsi dire les descendants, sinon d’Abraham, du moins de ses contemporains. Parti d’Ur, en Chaldée, le christianisme s’est d’abord répandu au Moyen-Orient, et notamment en Irak. C’est par ces chrétiens qu’est parvenu jusqu’à nous le message du Christ. A la croisée de l’Orient et de l’Occident, les chrétiens d’Irak nous rappellent la permanence de cette révélation vieille de 2000 ans : tous les hommes sont frères. Ils parlent d’ailleurs encore l’araméen, qui était la langue du Christ.

Au-delà du symbole que représentent les chrétiens d’Irak, n’est-ce pas de tous les chrétiens opprimés que nous devrions être solidaires ?
Vous avez tout à fait raison : dès lors que des chrétiens sont en danger, il est de notre devoir de leur porter secours. Ce qui vaut pour les chrétiens vaut d’ailleurs pour toutes les minorités. Quelles qu’elles soient, elles doivent être défendues et protégées.
Et en matière de danger, les chrétiens d’Irak ne sont pas en reste. D’abord car ils sont très minoritaires : sur les 25 millions d’habitants du pays, les chrétiens ne représentent qu’un petit million d’individus. Parmi eux, la moitié a trouvé refuge dans les pays voisins – où ils sont d’ailleurs très mal accueillis – pour fuir la guerre et les persécutions. Ceux qui sont restés en Irak ont la vie très dure. La situation est certes difficile pour tout le monde ; elle l’est plus encore pour les chrétiens que les épreuves les plus cruelles accablent : Leurs chapelles sont brûlées, plusieurs de leurs prêtres sont assassinés. Les demandes de rançon, les enlèvements, les tortures physiques et morales se multiplient. Les chrétiens d’Irak vivent sous la menace permanente. Si bien que trop souvent, la pratique religieuse et la célébration des principales fêtes chrétiennes comme Noël ou Pâques sont devenues aléatoires. Il y a donc urgence à leur venir en aide…

Dans votre appel, vous utilisez un mot fort puisque vous dites qu’il s’agit d’un “devoir” de leur venir en aide...
Ce mot est justifié car nous nous trouvons face à ce que je qualifie d’un autre mot fort : un “martyre”. Les chrétiens d’Irak vivent un martyre permanent. Nous ne pouvons pas laisser faire. Nous ne pouvons pas tolérer qu’il soit si difficile de pratiquer sa foi chrétienne dans certains pays du monde. Je suis de ceux qui pensent que l’islam est une grande religion, et je suis plus que favorable à l’expression de la foi des musulmans en France. Mais le moins que l’on puisse attendre, c’est une forme de réciprocité.

Dans votre texte d’ailleurs, vous ne prononcez pas le mot “islam”…
Est-ce un exercice difficile d’attirer l’attention sur les chrétiens d’Irak sans s’attirer les foudres des musulmans ?
Difficile mais nécessaire ! Il faut bien se garder de tout confondre : c’est le fondamentalisme que je combats. L’islam est une très belle religion qui mérite notre respect. Pour ma part, je l’admire beaucoup.

Concrètement, comment peut-on aider les chrétiens d’Irak ?
Je pense que prier est important pour les chrétiens. Ensuite il faut agir. Matériellement d’abord. Si on peut donner quelque chose, c’est très bien. Cela permettra de faire savoir à nos frères d’Orient qu’on ne les oublie pas. Il faut également faire pression sur les politiques, les alerter de la situation, et attirer l’attention des médias sur cette communauté menacée.

Le dernier mot de votre texte est “espérance”. Vous qui êtes connu pour votre optimisme, votre amour de la vie, êtes-vous confiant pour l’avenir du monde, face au choc des religions qui se radicalise ?
Le monde a toujours connu des périodes difficiles. Nous en traversons une, ces dernières années. A nous de faire des efforts pour ne pas vivre dans un monde déchiré par la guerre. A charge pour nous d’être tolérant. Les enjeux du monde de demain, ce sont l’environnement et la religion. L’image que les hommes se font de la religion est très importante. Soyons ouverts ! Le christianisme nous a beaucoup apporté lorsqu’il nous dit que tous les hommes sont frères.

Vous gardez donc votre optimiste ?
Oui, absolument !


QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE


Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Bien sûr que je le connais ! C’est le saint des causes perdues… ou plutôt celui que l’on invoque lorsqu’on a égaré quelque chose qui nous est cher.

Etes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
J’aime beaucoup Padoue. C’est une ville merveilleuse, d’une grande beauté. J’y suis allé plusieurs fois, il y a tant de choses fabuleuses à voir. Je pense surtout aux fresques de Giotto qui ornent les murs de la Chapelle Scrovegni.

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Oh, vous savez, je suis un très mauvais catholique, je ne suis pas pratiquant…

Cela vous arrive-t-il de prier ?
Je suis né dans la religion catholique, je mourrai dans la religion catholique, mais cela s’arrête là. Je ne veux pas en dire plus.

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Ce qui m’a rendu le plus heureux… oh, mais c’est strictement personnel. Vous n’en saurez rien.

Updated on 06 Octobre 2016