Rencontre avec... Michel Camdessus

19 Mars 2010 | par

Un ancien président du FMI qui prêche une Conférence de Carême, voilà qui est peu banal ! La finance et l’espérance sont-elles compatibles selon vous ?

Bien sûr ! À propos de l’argent, deux erreurs nous guettent sans cesse : considérer, d’une part, que l’argent est sale ou bien alors – et c’est une erreur sûrement plus grave que la première – se laisser guider par lui. Dans l’Évangile, Jésus nous dit : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Luc 16, 10-13). Il ne dit pas que l’argent est sale ! Ce qui est sale, en revanche, c’est de faire de l’argent une idole. L’argent est un bon serviteur ; mais c’est un mauvais maître. À nous, qui avons la chance d’avoir reçu ce message de l’Évangile, de démasquer cette idolâtrie et de montrer que ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur des hommes. Voilà la raison pour laquelle j’ai accepté de prononcer cette conférence. J’ai essayé de montrer comment le Concile Vatican II nous donnait un éclairage sur la manière dont le chrétien doit vivre dans le monde de son temps, en faisant face à cette idolâtrie. On voit où elle nous a menés aujourd’hui…



Un mot sur les Conférences de Carême… Cela a-t-il été un exercice difficile ?

C’était surtout un honneur. Un honneur dont je n’étais pas digne, mais auquel je pouvais difficilement me soustraire : quand mon archevêque m’appelle, j’obéis ! Prêcher une conférence dans la cathédrale de Paris m’a beaucoup plus impressionné que tous les discours à l’ONU ou ailleurs que j’ai pu prononcer dans ma carrière ! C’est un lieu chargé de toute l’histoire de mon pays, qui porte comme la trace de l’histoire de tant d’hommes et de femmes dans leur marche vers la sainteté… Aussi ai-je essayé de dire moins de bêtises que d’habitude !



Comment avez-vous réussi à conjuguer vos responsabilités au FMI et votre engagement chrétien ?


Je ne pense pas que ce soit plus difficile de vivre sa foi au FMI qu’à la boulangerie de mon arrière grand-mère ! Il y a peut-être six zéros de plus au bout des chiffres, mais le souci de droiture et de vérité est le même. Être chrétien, c’est rechercher le bien public. Or, qu’est-ce que le FMI sinon un très grand service public au niveau mondial ? On n’a pas toujours cette image-là du FMI et c’est bien regrettable… Ses objectifs majeurs sont pourtant bien de parvenir à la stabilité monétaire et d’organiser la solidarité envers les pays pauvres. Devrais-je rougir de cette mission ? Seulement de ne pas avoir toujours été à la hauteur.

Alors bien sûr, j’ai eu des cas de conscience. C’est très difficile de mettre 184 pays d’accord ; c’est une pâte lourde à pétrir. Vous êtes souvent critiqué, attaqué de toutes parts. Mais j’ai essayé de m’acquitter de ma tâche du mieux possible. Je saurai le jour du Jugement dernier si oui ou non je m’en suis à peu près bien sorti. En attendant, je m’en remets à la douce miséricorde de Dieu.



Quelle est la condition non négociable quand on est chrétien ?

L’éthique chrétienne se réduit à deux commandements dont le second est égal au premier : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Voilà ce qui n’est pas négociable pour moi. J’essaie de m’en souvenir chaque jour.



Vos convictions ont-elles influencé certaines de vos décisions ?


Je pense pouvoir affirmer que le souci des plus pauvres ne m’a pas quitté un seul jour pendant ces 13 années passées au FMI. Mes convictions y étaient pour quelque chose.



Vous n’avez jamais caché votre foi… Pourquoi est-il important d’en témoigner ?


Car dans l’Évangile, il est dit que la lumière ne doit pas être mise sous le boisseau. Dieu m’a fait le don de la foi ; je l’ai reçu à la mamelle ! Je ne vais pas la garder dans ma poche ! C’est une exigence pour les chrétiens d’expliquer à leurs frères ce qui les fait courir. On ne partage que ce que l’on est vraiment, dans un respect absolu évidemment des convictions des autres. Mais ces échanges-là vous rapprochent.



Comment Dieu vous accompagne-t-Il au quotidien ?

Je crois qu’Il est avec moi de façon permanente ; je sais que je suis sous son regard tendre. Je lui parle. Je lui demande de l’aide quand j’ai une tâche difficile à accomplir, je le remercie quand je me réjouis. Entre amis, on se parle souvent, n’est-ce pas ?



Comment le chrétien et l’économiste que vous êtes analyse-t-il la crise que nous traversons ?

Plus j’avance dans l’analyse de cette crise, plus j’y trouve une explication à travers cette parabole : ce qui se passe dans le “village mondial” n’est pas sans similitude avec ce qui avait lieu dans les villages de mes ancêtres. La vie y était réglée par un conseil municipal, le gendarme y faisait respecter la loi, tandis que le curé et l’instituteur veillaient sur les âmes. Si par malheur un événement échappait à la vigilance de toutes ces instances, s’instaurait alors ce que mes ancêtres appelaient le règne des voleurs de poules. La loi de la jungle et du chacun pour soi s’installait. Il s’est passé à peu près la même chose dans le village global. Sur un marché sans règle ni garde champêtre, bon nombre d’acteurs se sont comportés comme des gens sans foi ni loi. Il faut donc fixer des règles, restaurer les institutions mondiales et substituer au règne de l’argent-roi une économie de la fraternité.



Cette crise donne-t-elle raison à l’Église qui a toujours été préoccupée par les aspects négatifs du libéralisme et de la mondialisation ?

L’Église a raison de veiller au grain. Elle est d’abord au service des plus pauvres et elle doit amener les hommes du pouvoir à faire mieux. Mais attention, cette crise n’est pas la crise du libéralisme. Elle est la crise d’une hérésie du libéralisme. Il en va de même pour la mondialisation. Une phrase de Teilhard de Chardin m’a guidé durant toutes ces années : « On n’espère jamais assez de l’unité croissante du monde ». Quand bien même la mondialisation comporte des risques – la marginalisation des plus pauvres, l’instabilité financière et l’accroissement des inégalités – il y a du positif dans cette dynamique d’unification. À nous de l’humaniser toujours plus et de travailler à la rendre plus fraternelle.



Vous êtes encore très présent sur la scène économique, notamment à travers différentes missions confiées par le Président Sarkozy. Vous ne vous arrêterez donc jamais ?

J’ai le goût de la vie et de l’action pour servir les hommes. J’y ai consacré toute ma carrière professionnelle. Alors tant que je pourrai rendre les services qu’on me demande, je les rendrai ! D’autant plus que j’ai une épouse qui partage mes convictions et qui m’aide à les mettre en œuvre. À mon âge, l’injonction de René Char prend toute son acuité : « Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux ».



QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE



Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?

Non, je le connais très mal. La seule chose qui me vienne à l’esprit quand je pense à saint Antoine c’est l’image pieuse et sulpicienne d’un capucin portant un enfant dans ses bras. Mais grâce à votre revue, je vais pouvoir approfondir mes connaissances de ce grand saint.



Êtes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?

Non, je ne connais pas non plus Padoue mais c’est un endroit que je visiterais volontiers, si Dieu m’y mène. Si vous me demandez un lieu qui m’est cher, je vous dirai la cathédrale de Bayonne. C’est là que j’ai été baptisé.



Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

Je me sens proche de Dieu quand je le prie. Dieu s’est fait proche des hommes. Il nous fait la grâce de le connaître et s’est mis à notre disposition pour que nous soyons en permanence en conversation avec lui. Lorsque j’ai un petit moment devant moi, il m’arrive de lui parler comme un fils à son père.



Comment priez-vous ?

En méditant et en ruminant la Parole de Dieu.



Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?

Ce sont les moments passés en famille. Ma femme, mes six enfants et mes huit petits-enfants contribuent au bonheur de ma vie.



Updated on 06 Octobre 2016