Rencontre avec... Paul Malrtre

18 Juillet 2006 | par

Quelles sont les tendances en cette rentrée pour l’Enseignement Catholique (E. C.) ?
Nous scolarisons actuellement plus de 2 millions d’élèves, soit environ 20% de la population scolaire. Nous constatons depuis ces quatre dernières années une augmentation sensible des demandes d’inscriptions dans plusieurs régions (Paris et l’Ile-de-France, l’Ouest, le Sud-Est), ce qui nous oblige à refuser chaque année, sur le plan national, des dizaines de milliers d’élèves, faute de place et de poste d’enseignant.

Quelles sont les grands axes de cette rentrée ?
Nous avons initié un mouvement, depuis septembre 2000, autour du thème : « Comment penser l’établissement scolaire autrement ? ». Nos dernières Assises (4-5 avril 06) et ses 57 propositions pédagogiques en témoignent. Il nous faut être tête chercheuse, parce que les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas le même comportement en classe, ni les mêmes réactions qu’il y a seulement 5 ans.

Penser “autrement”, c’est aussi penser aux 100 à 120 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire, sans aucune qualification et sans diplôme ?
Deux chiffres ne nous rendent pas fiers : ces élèves représentent 20% des élèves scolarisés dans l’enseignement catholique. Or, nous n’avons que 5% de structures spécialisées (CLISS, Segpa, UPI). Donc, nous sommes en retard. Nous avons établi un rapport pour proposer des structures d’accueil à ceux qui ne sont pas “modèle standard”. Et nous ouvrons un chantier de réflexion, « Mieux risquer la différence », pour les trois prochaines années, de 2006 à 2009.

En avril dernier, les évêques ont choisi l’E. C. comme l’un des chantiers prioritaires de l’Eglise. Comment ce choix est-il reçu par les communautés éducatives ?
Pour les évêques, l’E. C. représente un lieu de rencontre avec 2 millions de jeunes, ouvert à tous, qui a toute sa place dans la société et dans le système éducatif français. Alors, la Conférence de Evêques rappelle pourquoi l’Eglise en France tient à l’enseignement catholique, sa mission, ses exigences. J’y vois plutôt un encouragement aux communautés éducatives. Les évêques veulent aussi creuser cette question : « Comment concilier ouverture et identité ? » Cette question n’est pas seulement celle des évêques, c’est aussi la nôtre.

Quelle est la singularité de l’E. C. aujourd’hui ?
Contrairement aux idées reçues, nous ne sommes pas un enseignement public auquel on ajoute de la catéchèse. Et une école catholique n’est pas une école de catholiques. Nous sommes ouverts à tous quelque soit la religion de l’enfant, ce qui ne signifie pas forcément du libre-service des religions : nous ne cachons pas la foi et l’espérance qui nous animent. Notre caractère propre peut s’exprimer ainsi : à partir de l’acte d’enseigner et du fait que nous sommes “école”, nous cherchons à vivre l’Evangile, c’est-à-dire sans dissocier l’enseignement, l’éducation de toute la personne et la proposition d’un sens chrétien de la vie. Cela s’incarne dans la relation pédagogique, par exemple, la relation enseignants–parents, ou, dans la catéchèse ou les célébrations proposées, qui disent le cœur et la racine de ce projet éducatif.

Vous évoquez les parents… Justement, entre enseignants et parents, comment se vit le partage des responsabilités ?
Nous avons l’habitude de travailler avec les parents, au plan national comme au plan local. Mais il reste toujours des difficultés dans la relation parents–école. Il faut ainsi distinguer les questions éducatives des compétences professionnelles. Il ne revient pas aux parents de fixer les méthodes de lecture ou de mathématiques. En retour, il faut que les enseignants admettent que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants.

Et vous, quel rapport entretenez-vous à l’école depuis votre enfance ?
Petit, j’étais un élève moyen, à la scolarité sans encombre, sans trop de focalisation : j’étais toujours en activité (scout, ACE…). Mais, depuis mon enfance, l’enseignement est une évidence. Je voulais être professeur. Les études ont confirmé que je n’étais pas fait pour l’industrie, alors que nous étions dans la région de Saint-Étienne. Après une licence de philo, je me suis dirigée vers l’enseignement. A 20 ans, j’étais professeur de philosophie, puis chef établissement en école, collège et lycée, ce qui m’a permis d’en voir tous les fonctionnements, ensuite directeur diocésain à Saint-Étienne, président des directeurs diocésains de France, et enfin, secrétaire général de l’enseignement catholique. J’ai 60 ans, et 40 dans l’enseignement !

Responsable de l’E. C. depuis 7 ans, vous avez été à nouveau reconduit pour un an. Puisqu’il faudra un jour que les évêques vous trouvent un successeur, comment définiriez vous la “fiche de poste” de votre fonction ?
Ma première mission date de la rentrée de 1999 (j’avais refusé en 1997, car je n’étais pas prêt). Depuis, j’ai été renouvelé tous les 3 ans. Puis mon mandat a été prolongé, pour 2005-2006, où je pensais être remplacé. J’ai été renouvelé dans cette mission pour 2006-07. Le rôle du secrétaire général se résume en quatre directions : présence à l’Eglise, relations avec les pouvoirs publics, en particulier le Ministère de l’Education nationale, relations avec les médias, et surtout, animation de l’enseignement catholique.
 
Quelles richesses puisez-vous dans votre mission ?
La masse des contacts, la très grande diversité de rencontres : l’enseignement catholique est à un carrefour. Cette mission de société m’a appris à concilier les orientations auxquelles nous tenons avec l’écoute de points de vue très divers. Notre projet est très clair, mais en même temps, il se réalise avec une mosaïque d’organisations, de mouvements… Le risque, à être tellement écartelé entre tous ces univers, est de manquer d’unité, à la fois de vie mais aussi de perspectives. Il faut ne pas seulement se contenter de faire tourner l’enseignement catholique, d’en assurer les moyens, mais aussi ne jamais perdre de vue le sens. Je ne crois pas y avoir succombé.

Que serait pour vous l’école idéale ? Et l’école catholique idéale ?
C’est la parabole des talents : l’école idéale permettrait à tout élève de développer le maximum de ses potentialités, quelques soient ses capacités de départ, sans développement de l’individualisme, mais avec l’ouverture et le respect de l’autre, l’engagement dans la vie. L’école catholique idéale fonderait sa relation pédagogique entre maîtres et élèves sur la manière avec laquelle le Christ à rencontrer les personnes, notamment Zachée : Il ne l’a pas jugé sur son histoire antérieure, ne l’a pas programmé à être malhonnête. Ainsi, notre enseignement ne devrait pas enfermer le jeune dans son histoire antérieure, ses comportements, ses résultats… mais avoir foi en son avenir ! 

 

QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Qu’évoque pour vous saint Antoine de Padoue ?
Dans mon enfance, c’était le saint des objets perdus. Depuis, le fait de l’avoir découvert disciple de saint François me l’a dé-“statué”, au sens du mot “statue”, “austérité”. Il possède une foi vécue avec authenticité, simplicité et sérénité souriante.

Etes-vous intéressé par la recherche spirituelle ? Laquelle ?
Oui. Professeur de philosophie, je retiens cette réflexion, à l’origine de ma quête spirituelle : « Il n’y a qu’une question métaphysique : pourquoi y’a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Ce n’est pas qu’une question sur les origines de Dieu, c’est aussi comprendre ce que signifie Dieu fait homme.

Vous arrive-t-il de réfléchir au sens de la vie, de prier ?
Oui, à plus forte raison, puisque je suis dans une fonction absorbante. Assez spontanément, je suis méditatif, parfois à vide. Je crois beaucoup aux formes d’intériorité et de silence, y compris dans le domaine éducatif.

Comment pouvons-nous combattre les pauvretés, réduire les injustices ?
Penser l’établissement autrement est une manière de réduire les pauvretés. J’ai eu une grande joie dans ma carrière : j’ai accueilli en terminale un élève, sorti de prison, dont plus personne ne voulait. Il a réussi son bac ! Ça vaut le coup de donner sa chance.

Voyez-vous, en vous, autour de vous, des raisons d’espérer ?
Oui, d’abord chez les élèves. Un élève peut toujours surprendre. Alors, pas de jugement définitif. Par rapport aux enseignants : les jeunes qui souhaitent enseigner ont un bel appétit spirituel et s’intéressent au projet de l’enseignement catholique. Cette espérance éducative, j’ai tendance à la transposer : désespérer n’est ni éducatif, ni chrétien. Plus j’avance dans ce métier, plus je comprends le sens de Pâques : espérer, aimer n’a de sens que par Pâques. Que signifierait l’espérance si la vie ne l’emportait pas sur la mort ?

Updated on 06 Octobre 2016