Rencontre avec... Xavier Emmanuelli

29 Juin 2010 | par

À la lecture de votre livre, on se dit que vous devez vraiment aller très mal pour nous offrir ce qui s’apparente à un testament… Rassurez-nous, comment allez-vous ?

Couci-couça. J’ai passé 70 ans – voilà au moins un domaine sur lequel j’aurais été plus performant que mon père ! – et forcément, la machine commence à s’user et à se détraquer. Mais il n’y a pas vraiment de lien entre ma santé physique et l’écriture de ce livre. À 70 ans, ce n’est un secret pour personne, on est à l’automne de sa vie. Il m’est apparu nécessaire de faire le point. De regarder comment s’est passé mon pèlerinage sur la terre.

Ai-je franchi les étapes qui m’ont été proposées ? Ma vie a-t-elle eu un sens ? Voilà les questions que je me suis posées… avec en filigrane, cette grande interrogation : suis-je prêt ?



La mort vous fait-elle peur ?

Elle m’A FAIT peur. À plusieurs reprises, mon métier m’a conduit dans des lieux infernaux ou effectivement j’ai eu peur pour ma vie.

Mais la mort, je l’ai surtout côtoyée au cœur même de ma profession. Comme médecin, c’était la limite de mon pouvoir, le signe que je n’ai pas été à la hauteur. À une époque où les médecins se considèrent davantage comme des guérisseurs que comme des soignants, il y a une obligation de résultat. Pour les médecins aujourd’hui il ne s’agit plus d’accompagner, d’entourer, de consoler ou d’aimer mais de guérir. Si la mort a le dernier mot, c’est un échec.

Aujourd’hui, je suis bien obligé d’accepter que c’est mon destin obligatoire. J’ai beau conserver une certaine angoisse de l’inconnu, la peur de la mort ne me concerne plus. Voire même j’attends la mort avec une certaine curiosité. Elle sera la bienvenue.



C’est peut-être le signe que votre vie vous a comblé… Êtes-vous un homme heureux ?

Je rêvais d’une destinée, elle s’est accomplie. Je ne peux que rendre grâce ! Il m’a été donné, à moi l’introverti plutôt mystique, de voyager, de participer à toutes les grandes catastrophes sur tous les continents… J’ai vu naître le Samu, MSF, le Samu Social... Alors bien sûr, il y a des regrets, une foultitude d’occasions manquées, l’impression d’avoir été poussé plutôt que d’être réellement moteur, mais il y a pire comme vie !



Quelle est votre plus grande fierté quand vous vous retournez sur votre parcours ?


Oh ! Je n’ai aucune fierté à tirer de quoi que ce soit. S’agissant des choses que j’ai créées, j’ai simplement eu la chance d’avoir été poussé là au bon moment. Ce sont des grâces… En revanche, je suis assez content du parcours initiatique que j’ai effectué. La vie m’a appris beaucoup de choses sur moi-même, sur la condition humaine. Alors oui, si vous voulez que je sois fier de quelque chose, ce serait plutôt de l’impression d’avoir marché, d’avoir cheminé. Je suis fier d’avoir eu la faculté de m’interroger, de ne pas avoir accepté les vérités définitives, qu’il s’agisse de l’exclusion, de la religion, du corps. Qui est mon semblable ? Voilà l’interrogation qui a animé ma vie, et que mon père m’a probablement transmise. Lui, c’était un homme bon. Il avait une manière de voir sa profession (médecin, ndlr) qui m’a beaucoup influencé. Mon père était un maître.



Vous écrivez que vous avez choisi d’être médecin de l’urgence « pour agir sur les événements ». Avez-vous le sentiment d’y être parvenu ?


Ce n’est pas à moi de le dire ! J’ai choisi cette vocation pour prendre ma part, pour peser sur la terre, et je ne le regrette pas. Car le fait d’être médecin m’a permis de prendre des raccourcis pour rencontrer les gens, au-delà de l’apparence et du statut social. Qui d’autre que le médecin peut voir les personnes dans leur nudité ?



En même temps, vous avez un regard amusé sur le médecin qui se rêve en héros…

Il faut rêver, c’est très bien d’avoir un idéal. Même si au bout du compte, on est obligé de se rendre à l’évidence : personne n’est un chevalier, nous ne sommes que des petits hommes.



De l’urgence au bout du monde avec Médecins sans Frontière, vous êtes passé au phénomène de l’exclusion à travers le Samu Social, que vous avez créé en 1993… Quel est le fil conducteur de votre carrière ?

La médecine ! C’est comme docteur que je me suis intéressé à l’exclusion. D’abord en tant que médecin-chef de la prison de Fleury-Merogis, où je me suis interrogé sur la toxicomanie, puis à l’hôpital de Nanterre où j’ai vue des pathologies incroyables, des corps dans des états désastreux. Je me disais : « Ils ont quand même un problème d’image, on voit quand son propre corps souffre ». Eh bien non, ils étaient devenus invisibles à leurs propres yeux. Dans le métro, lorsque les clochards sont affalés sur un banc, personne ne vient s’assoir à côté d’eux. On fait un petit détour pour les éviter et on fait comme si on ne les avait pas vus. Or, quand on n’existe pas dans le regard des autres, on finit par ne plus exister à ses propres yeux. C’est cela la grande exclusion : la perte de sa propre image. En tant que médecin, je me suis naturellement demandé ce que je pouvais faire pour aider ces personnes en souffrance.



Depuis la création du Samu Social  le visage de la personne exclue a-t-il changé ?

Peut-être voit-on davantage de femmes battues, de fous, de migrants… Mais ce qui a changé surtout, c’est notre regard à nous sur les personnes vulnérables. Dans la foulée du Samu Social, beaucoup d’associations se sont créées. Chacune d’elles essaient de trouver des dispositifs ad hoc, d’apporter une réponse adaptée. Avant on se fichait complètement que des personnes meurent l’hiver. Maintenant c’est un scandale. Tant mieux. Il ne faudrait pas oublier que l’exclusion n’est pas liée à la météo… On meurt autant l’été que l’hiver. Ce n’est pas le froid qui tue, mais la misère et le manque de soins.



À plusieurs reprises vous dites avoir eu le sentiment d’être accompagné… Avez-vous toujours eu la foi ?

Pas du tout ! Jeune médecin j’étais même plutôt laïque. Je trouvais que la religion faisait des gens résignés. Je n’étais pas loin de penser que c’était l’opium du peuple... Ce n’est que petit à petit que je me suis réconcilié avec la foi et que j’ai eu le courage d’en parler… Mais c’est encore fragile, je me sens comme un enfant quand je m’adresse à Dieu…



Que lui direz-vous lorsque vous vous trouverez face à Lui ?

Comme Il saura déjà tout...





QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?

Je le vois davantage comme une figure populaire faisant partie de notre patrimoine culturel que comme un intercesseur. Je suis plus proche de saint François d’Assise qui est pour moi le saint par excellence, celui qui a fait tout le parcours depuis fils de famille jusqu’à la sainteté. Par son humanité, il nous montre que chacun de nous peut suivre un tel cheminement.



Êtes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?

Non, je ne connais pas Padoue. Mais si je devais vous citer un lieu qui m’est cher, je dirais Chartres. Ce n’est pas un endroit très intime, mais j’aime cette cathédrale.



Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

« Je ne crois pas en Dieu mais il me manque ». Cette citation, dont j’ai oublié l’auteur, résume assez bien ce que je vis. Je crois en Dieu bien sûr, mais je ne suis qu’un homme. La foi n’est pas évidente, elle est une conquête. Elle est ce manque, cette aspiration. À votre question, je répondrai donc : je suis proche de Dieu quand il me manque le plus.



Comment priez-vous ?


Pour moi, la prière ce sont des éclairs, des pensées, des jets. Des actions de grâce ou des cris de douleurs adressés à Dieu. Je prononce assez peu de prières toutes faites.



Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?

Quand j’étais petit, ma mère disait souvent que le soir, une fois qu’elle avait tiré le verrou de la porte et qu’elle savait ses enfants autour d’elle, elle ressentait une forme de sécurité et de plénitude. Je suis un peu comme elle : je goûte des instants de bonheur quand je sens que tout est en place.




Updated on 06 Octobre 2016