Résultats scolaires : éviter de comparer les enfants
« Maman, j’ai eu 16/20 à mon dernier devoir de maths ! », rayonne Claire, élève de seconde. « Et moi, 17/20 en français ! », surenchérit Baptiste, en cinquième. « Moi, euuuuuh… 6/20 en anglais… », soupire avec lassitude Marie, l’aînée, qui a redoublé sa première et souffre de dyslexie et d’un manque déchirant de confiance en elle-même, qui suscite parfois un peu d’impatience chez sa maman, elle-même directrice d’école.
Avec la numérisation des relevés de notes, les fins de week-end de certaines familles sont parasitées par la découverte des résultats scolaires sur les portails numériques dédiés, qui permettent aux enseignants d’intégrer les résultats, directement accessibles en ligne pour les parents et leurs enfants. Finie donc l’angoissante remise des copies en classe le lundi matin, dans certains cas distribuées selon un classement croissant ou décroissant, faisant parfois vivre aux élèves de véritables « ascenseurs émotionnels »... surtout quand leur copie se trouvait égarée dans le bas ou le haut de la pile, avec un résultat décalé par rapport au classement attendu.
Si la disparition ou raréfaction de ce rituel peut rendre la vie de classe moins angoissante, la diffusion des notes sur internet vient souvent percuter la vie de famille à la maison et peut créer de nouvelles formes de comparaison entre frères et sœurs, avec un sentiment d’infériorité encore plus humiliant quand les plus grands de la fratrie sont moins performants que les plus jeunes.
Les rivalités sont parfois plus fortes entre filles. Pour une adolescente mal dans sa peau, la petite sœur jolie et charismatique devient ainsi franchement insupportable si elle est aussi première de classe ! Étudiante à Sciences-Po, Jessica est ainsi issue d’une famille de huit filles, ayant toutes un profil intellectuel, avec d’évidentes rivalités entre elles et une ambiance pénible à la maison. « C’est surtout difficile pour mon père », reconnaît-elle, plutôt rassurée d’avoir pu étudier loin du foyer familial. Parfois, des prises de distance s’imposent pour éviter de voir le climat familial se faire pourrir par la pression scolaire et universitaire.
« Ta vie a été plus facile que pour nous »
Même avec plusieurs décennies de recul, certaines jalousies plus ou moins explicites peuvent perdurer dans les familles quant au niveau d’études permis pour certains, et empêché pour d’autres. « Toi, tu as été choisie. Ta vie a été plus facile que pour nous », lançait ainsi peu avant son décès Agnès, née en 1938, à sa petite sœur Bernadette, née en 1950, seule descendante d’une famille agricole de l’Aisne à avoir pu « monter à Paris », pour des études de psychologie.
Ses grands frères et sœurs, dont la petite enfance avaient été marquée par les privations de la Seconde Guerre mondiale et de la reconstruction, avaient été éduqués par un précepteur à domicile et n’avaient pas eu accès à des études supérieures, les hommes étant naturellement prédisposés au travail des champs et les femmes à l’entretien de la maison. Seule la fille cadette avait pu suivre un cursus diplômant, de l’école du village jusqu’à l’Institut catholique de Paris, peu après le grand tourbillon de Mai-68 qui avait pourtant choqué ses parents. « Bernadette, c’était notre cousine moderne, qui faisait des études. Elle nous impressionnait ! », s’amuse sa petite-cousine Marie-Paule, qui était adolescente à la fin des années 1960.
L’émancipation de Bernadette ne fut pourtant pas idyllique. Scolarisée dans l’unique classe du village avec son frère François, qui était trisomique – ou « mongolien », selon la terminologie encore en vigueur dans les années 1950 – elle fut témoin de l’humiliation vécue par son frère, frappé par un maître d’école exaspéré par son incapacité à entrer dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Cette expérience douloureuse motiva le désir de Bernadette de suivre des études de psychologie et de prêter attention aux fragilités humaines.
Si les petites et grandes humiliations de l’enfance contribuent à marquer le développement des personnalités, il n’est pas rare de voir de « bons élèves » éprouver de sérieuses difficultés une fois livrés à eux-mêmes dans la vie d’adultes et dans le monde de l’entreprise, et inversement, des élèves en perdition apparente trouver ensuite leur épanouissement en prenant des voies inattendues, même dans la littérature.
Dans les années 2000, un prêtre confronté à des jeunes en difficulté dans leur cursus scolaire et universitaire conseillait une lecture profane pour leur redonner de la motivation : Chagrin d’école, un ouvrage dans lequel l’écrivain Daniel Pennac offre un regard touchant sur ses humiliations d’enfant et d’adolescent trop décalé pour le système scolaire, mais qui deviendrait quelques années plus tard l’un des écrivains les plus appréciés de sa génération… allant jusqu’à figurer dans les programmes scolaires ! Un renversement de situation qui peut redonner de l’espoir à des élèves complexés, et faire relativiser les sentiments d’infériorité et de supériorité liés aux notes, dans les classes comme dans les familles.
Par souci de discrétion, les prénoms des enfants cités ont été modifiés.