Scénarios de crise en Amérique latine

01 Janvier 1900 | par

 Buenos Aires. Relayée par la télévision, deux familles sont filmées chez elles et dans leur milieu : en jeu, un emploi pour le chef de famille, qui sera attribué en fonction du nombre de voix fournies par les téléspectateurs. Cette émission intitulée Recursos Humanos n’est pas un passe-temps télévisé, mais le reflet dramatique de la dure réalité que traverse le pays, encore enfoncé dans la crise économique et politique de décembre 2001. La moitié de la population active, environ douze millions de personnes, est sans travail ou sous-employée. Et sur le pays grève une immense dette, qu’il n’est à même de restituer ni à ses propres concitoyens ni aux investisseurs étrangers.

Il n’est pas certain, comme l’on serait tenté de croire, qu’une crise économique de cette taille et un taux très élevé de chômage ouvrent la voie à des gouvernements de gauche, même extrêmes. En Argentine, c’est le contraire qui est en train de se produire : le centre-gauche qui gouvernait le pays au moment de la crise, a été politiquement balayé, et le slogan adressé aux hommes politiques de toutes tendances est, et reste : Que se vayan todos (« Qu’ils s’en aillent tous »). Nombre d’entre eux, en effet, lorsqu’ils sont reconnus en public, continuent d’être l’objet de menaces. Mais puisqu’un gouvernement est malgré tout nécessaire et aucune alternative valable ne s’est encore présentée, il n’est pas impossible que les vainqueurs en soient les péronistes qui, par leur tendance populiste et leurs mauvais gouvernements successifs, sont parmi les responsables de la crise récurrente dont souffre l’Argentine.

Le teste du 27 avril dira (nous écrivons au futur) qui sera le vainqueur, un des candidats proposés par le mouvement péroniste ou… l’abstention.

Menaces de guerre civile au Venezuela

Au Nord, le Venezuela est, depuis plusieurs mois, au bord de la guerre civile. Au cœur de la crise, un personnage très controversé : Hugues Chavez, depuis cinq ans Président du pays. Officier impliqué dans un coup d’état de gauche, en 1992, il a été élu triomphalement en 1998 et depuis 1999, il a fondé un nouvel Etat : la Ve République ou “République Bolivarienne”, du nom de Simon Bolivar, le Libertador de l’Amérique latine au XIXe siècle (Venezuela, Pérou, Bolivie).

Ses projets méritent toutefois attention : réforme agraire, démocratisation de l’industrie pétrolière (le Venezuela est le cinquième exportateur “d’or noir”), création de “cercles bolivariens” pour transformer la société, mais ses méthodes se sont avérées négatives – superficialité et autoritarisme – et les résultats, désastreux : fermeture de 5000 petites et moyennes entreprises et de 15000 magasins, 800000 chômeurs, dans un pays aux ressources énergétiques et agricoles immenses. Aussi a-t-il réussi à faire surgir un large front de contestations qui va de la droite à la gauche, tandis que les “cercles bolivariens”, initialement prévus pour dynamiser la société civile, ont dégénéré en “escadrons d’action”, à la solde du Président.

Une tentative de sortir de la crise pourraient être représentée par de nouvelles élections, peut-être un referendum, prévu par la “Constitution bolivarienne”, en août prochain, mais y parviendra-t-on ? Le risque qui menace actuellement le pays est, d’un côté, un coup d’état de la part de militaires d’extrême droite (déjà tenté le 11 avril 2002) et, de l’autre, la dérive autoritaire de Chavez lui-même, dont les signes précurseurs ne manquent pas.

L’Equateur et la Bolivie

En Equateur tout proche, un ex-officier golpiste, Lucio Gutierrez, vient de gagner les élections avec l’appui du Pachacutik, le front des Indios, qui sont majoritaires dans le pays. Par son passé et ses choix politiques, il a été défini un deuxième Chavez, bien que jusqu’à présent il ait su se mouvoir avec prudence.

Plus au Sud, en Bolivie, la crise a de nombreux points communs avec celle de l’Argentine : un Président, Ponzalo Sanchez de Lozada, pratique une politique libérale de centre-gauche. Lorsque, en février dernier, pour se conformer aux directives du Front Monétaire Inter­national, il a essayé de réduire les salaires, il a risqué d’être limogé par une révolte populaire, appuyée par les policiers, eux-mêmes victimes d’une coupe sombre dans leur feuille de paie.

Aussi, la cause de la crise qui a frappé la presque totalité des pays d’Amérique latine doit-elle être attribuée à la faillite, dans tout le continent, des recettes néo-libérales, appliquée par des politiciens corrompus et un capitalisme de fraude. Par contrecoup, la crise a engendré un retour du populisme, incarné par des figures militaires dont les prototypes sont à rechercher auprès du brésilien Getulio Vargas et de l’argentin Juan Domingo Peron. Mais est-ce la réponse efficace aux malaises dont souffre le continent sud-américain ou un retour à des solutions déjà expérimentées de manière négative ? Pourtant, une réponse semble possible, en dehors du libéralisme ou du populisme.

Lula : le président syndicaliste

Au Brésil, Luis Inácio Da Silva, dit “Lula”, semble avoir bien démarré. En politique intérieure, il a lancé une série de campagnes et de réformes destinées à vaincre le spectre de la faim dans le pays : il a annulé l’achat de douze chasseurs FX pour en transférer les fonds au programme Fome Zero (“faim zéro”), qui distribue des bons-repas au prix symbolique d’un réal (trente centimes d’euro). Il a accordé aux habitants des favelas (plus de six millions de personnes) la propriété des terrains occupés par leurs baraques, ce qui leur permet non seulement d’en devenir les propriétaires mais de demander des crédits aux banques. Il va lancer le programme moradia qui prévoit la construction d’habitations pour six millions de personnes en cinq ans. Sur le plan international, il s’efforce de contrebalancer la forte présence des Etats-Unis par de nouveaux rapports avec les autres pays d’Amérique latine et avec l’Union européenne.

Il est encore trop tôt pour dire s’il réussira son pari, mais la voie qu’il a prise est une alternative démocratique bien meilleure que celle des populismes anciens ou nouveaux.

 

  Au milieu de la crise, la voix de l'Eglise

 

Venezuela : non à la violence, oui à la vie

 

Dans un communiqué lu dans toutes les églises du pays, le 20 octobre dernier, les évêques du Venezuela décrivent le climat délétère qui régnait dans le pays à cette époque et appelaient les Vénézuéliens à s’unir pour sauver la cohésion sociale.

« Notre pays n’a jamais été aussi divisé ni meurtri par les affrontements… La population angoissée est victime de pauvreté et du chômage. La vie en société est menacée par le conflit armé…

Comment sortir vainqueur de cette crise nationale ? Il est essentiel de crier « non » à la violence, à la haine et aux excès idéologiques. Non au mensonge, à l’intolérance et à l’exclusion. Non à la pauvreté, morale ou matérielle, et non à la mort… Dans le même temps, disons « oui »… à la vie, à la reconnaissance de l’autre, à la rencontre avec l’autre. Oui à l’état de droit et à l’indépendance des institutions. Oui à la vérité et à la liberté, à la justice et à la solidarité, à la réconciliation et à la fraternité. »

(Source : Documentation catholique, n° 2285, p. 155)

 

Argentine : Rebâtir la maison commune

 

Le 12 octobre 2002, la Conférence épiscopale argentine a publié un document dans lequel sont évoquées la situation de crise et les conditions morales pour la surmonter.

« Notre pays est prostré car sa population n’a pas réussi à unir ses efforts pour construire une maison commune et a été la proie d’une minorité qui n’a pas craint de le piller…

Nous devons rebâtir “une nation dont l’identité se fonde sur la passion pour la vérité et l’engagement pour le bien commun”…

Face à l’assistanat, adoptons la culture du travail, l’esprit de sacrifice, l’effort constant et la créativité.

Face à la corruption et au mensonge, travaillons à la promotion de la justice, du respect de la loi et de la fidélité à la parole donnée.

Face à la décomposition sociale, œuvrons à la réconciliation, au dialogue et à la paix sociale. Seuls les bons citoyens agissant avec intelligence, amour et responsabilité, pourront construire une société et un état plus justes et solidaires… »

(Source : Documentation catholique, n° 2284, p. 110)

 

Updated on 06 Octobre 2016