Tourisme éthique

13 Février 2004 | par

Avec 700 millions de touristes dans le monde, le voyage est devenu un produit de masse. Cette industrie florissante a généré 520 millions d'euros en 2 000. Il est donc logique que dans des pays qui ne recèlent ni pétrole ni autres richesses naturelles, comme Cuba ou Saint-Domingue, les économistes se soient tournés vers le tourisme. Mais le prix à payer a souvent été élevé, tant du point de vue social (travail des enfants, prostitution) qu'environnemental (surconsommation d'eau, verrue architecturale). Par ailleurs, ce sont souvent les entreprises transnationales qui profitent le plus du tourisme dans les pays en voie de développement. Les services hôteliers et de découverte se trouvant, la plupart du temps, dans les mains de sociétés ou de ressortissants occidentaux, il y a peu de retombées financières pour la population locale. Alors, depuis une dizaine d'année, une poignée d'acteurs résiste à la logique consumériste et tente d'imposer une nouvelle vision du voyage : le tourisme éthique.
Cette prise de conscience devient publique pour la première fois au sommet de la Terre à Rio en 1992. Le tourisme y était défini comme une forme de pollution. Plusieurs chartes et codes d'éthique virent alors le jour pour aboutir, en 1999, à une charte mondiale d'éthique adoptée par l'OMT (Organisation mondiale du tourisme), une organisation mixte de nations membres de l'ONU. Cette charte sert désormais de base et de nombreux professionnels du tourisme l'ont signée, obtenant le label tourisme éthique. Ils s'engagent normalement à en respecter les principes, à savoir notamment réaliser des produits touristiques respectant l'environnement, le patrimoine culturel et les cultures traditionnelles et surtout, associer les pays d'accueil et leur population afin de leur permettre de bénéficier des retombées économiques favorisant le développement et leur qualité de vie . Enfin, ils s'engagent aussi à éduquer les touristes ce qui, il faut bien le reconnaître, est aussi une nécessité.

Financer des projets de développement
Et les consommateurs, comment réagissent-ils ? En fait, une majorité est favorable. Il semble, comme le souligne Jean-Didier Urbain, sociologue du tourisme, que notre société a un problème avec l'oisiveté et que les voyageurs se sentent de plus en plus souvent coupables d'avoir le temps et l'argent pour prendre des vacances. Alors, ils ont de plus en plus envie de voyager utile. D'après une enquête de l'institut Ipsos, réalisée en mars 2003, 75 % des personnes interrogées estiment qu'il serait légitime que l'industrie du tourisme finance des projets de développement durable dans les pays pauvres où elle s'implante . Toutefois, l'introduction aux Baléares d'une taxe de séjour éco-touristique a suscité un tollé général en Espagne et en Allemagne, d'où provient la majorité des touristes de l'île !
Bonne volonté donc, mais la mise en pratique reste marginale. A la limite, ce qui marche le mieux, ce sont ces tours opérators qui prélèvent 1% du prix de chaque nuitée qu'ils reversent à des ONG, via l'association TDF, Tourism For Development. Cet argent sert à financer des projets de développement durable, par exemple d'adduction d'eau. Cette façon d'ajouter un peu de cœur à la mondialisation pour reprendre la formule de Arielle Renouf, cofondatrice et présidente de TFD France, est bien, mais il ne faut pas que cela soit une manière de se donner bonne conscience, sans rien changer à ses habitudes et à son approche du monde.
Autre danger : le risque que le concept tourisme éthique devienne une accroche commerciale, un effet marketing. La tentation peut être forte pour un individu, une association ou une institution, d'utiliser un créneau porteur pour déclencher l'acte d'achat. En effet, toujours selon l'enquête Ipsos déjà citée, pour 83% des voyageurs interrogés, le label tourisme éthique améliore l'image qu'ils ont du prestataire et 78% sont d'accord avec la suggestion qu'un tel label donne davantage envie de choisir ce type de voyage. L'idéal serait, bien sûr, une transparence totale qui permettrait de savoir qui gagne, combien et comment, avec quelle consommation d'eau et d'énergie et quel est le véritable impact dans le tissu économique et social des pays visités.

Respect des cultures locales
De plus en plus de touristes ont envie de découvrir les traditions autochtones. Il en résulte une certaine folklorisation et, il faut le dire, certaines membres d'ethnies pittoresques n'hésitent pas à se déguiser en costume traditionnel, font la fête juste pour la photo et... bien sûr pour de l'argent. Quelquefois, l'attrait du spectacle ne connaît aucune limite. J'ai pleuré quand j'ai vu le lieu et les dates de crémation de mes parents affichés dans tous les offices de tourisme de l'île... se souvient un Balinais. Il arrive aussi que les touristes, par méconnaissance des cultures locales, profanent des lieux réputés sacrés par la religion du lieu. A Monrondave (Madagascar), il existe un immense baobab sacré dont, selon les croyances animistes, il ne faut pas fouler le sol autour, sans demander la permission par des prières et des offrandes aux esprits qui l'habitent. S'y rendre sans guide est donc inconcevable. De même, dans les falaises du pays Dogon au Mali, un grand nombre de lieux sont sacrés. Alors les touristes qui montent seuls pour prendre des photos commettent, à leur insu, des sacrilèges. Ces profanations de leurs croyances blessent profondément les autochtones.
L'ignorance est bien souvent la cause de ces maladresses. Le voyagiste Atalante a été le premier a publié systématiquement une charte dans ses catalogues et il est demandé à tout acheteur potentiel de bien la lire. Il y est expliqué, entre autre, qu'il inutile de se doucher trois fois par jour, même s'il fait chaud, dans un pays qui connaît des pénuries en eau... De même, les enfants qui reçoivent de l'argent pour des photos, ou grâce à la mendicité, souvent, ne sont plus scolarisés car de cette manière, ils gagnent parfois plus que leur père, et cela crée, en plus, d'importantes distorsions dans les structures familiales.

Des idées pour tous...
Que faire pour éviter que notre générosité se transforme en piège ? D'abord s'informer sur le pays où l'on souhaite se rendre et définir ses motivations. Quelques questions fondamentales que suggère Anne Amblès, co-animatrice du site Internet <tourisme-durable.com> peuvent nous y aider : Qu'est ce que je recherche dans le voyage ? Voir des lieux reconnus comme touristiques ? M'enrichir sur le plan humain et culturel ? Etre respectueux là où je passe mes vacances ? Et aussi : Dois-je collectionner les destinations et rester peu de temps dans chaque pays, afin d'allonger ma liste ? A qui profite cette mode ? N'hésitez pas à poser toutes les questions possibles au voyagiste qui va vous vendre sa prestation.
Car il existe des structures dont l'action redonne au tourisme une vraie place dans l'économie locale. Ainsi en Inde, cinq jeunes des bidonvilles de Calcutta ont-ils créé un réseau d'éducation dans les campagnes pauvres aux alentours. Pour récolter plus facilement des fonds, ils ont joué la carte du tourisme et proposent, depuis 1996, des séjours à la carte dans des petits villages du delta du Gange. Les voyageurs sont accueillis par les familles bengalis. Ils peuvent visiter la région en compagnie d'un habitant ou suivre les responsables de l'ONG qui s'appelle Mass Education, dans leur travail quotidien auprès des écoles, des dispensaires et des agriculteurs. Les revenus du tourisme servent à financer les écoles et les projets de développement de la région.
Sur un principe proche, les associations Djembé et Tourisme et développement solidaires organisent des séjours dans des villages de Côte d'Ivoire et du Burkina Faso ; Croq Nature dans le Sahara et Terres Lointaines en Amérique Latine. Par ailleurs, de petites agences, telles que la Burle ou La Balaguère consacrent une partie de leur temps et de leur chiffre d'affaire à monter des projets de solidarité - puits, dispensaires, écoles - avec les pays les plus pauvres. Toutes ces initiatives sont basées sur l'échange. Lorsque le voyageur est accueilli, c'est une vraie rencontre basée sur le respect de l'autre et sur le partage.
La réussite ne peut être effective que si les autochtones sont parties prenantes, car, comme le souligne Dora Valayer, la présidente de Transverses, le vrai tourisme éthique est celui qui est contrôlé par la population locale .

 


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Pour en savoir plus :
A lire : Tourisme, touristes, société, par Franck Michel, Ed. Histoire et Anthropologie, Harmattan, 1997 (27,50 €)
A consulter sur Internet :
www.tourisme-durable.com : site indépendant d'informations et de débat.
www.globe.net.org : information sur le tourisme et le développement solidaire.
www.tourisme.gouv.org : ce site du ministère du tourisme français porte le texte de la charte éthique.
Associations et voyagistes pratiquant le tourisme éthique :
Mass Education : +33-(0)1-39 91 20 05. Croq' Nature : +33-(0)-5 62 97 01 00. Djembé : +33-(0)6-79 18 00 36. Tourisme et développement solidaires : +33-(0)4-99 63 02 63. Terres Lointaines : +33-(0)6-63 26 41 73. Transverses : +33-(0)1-49 10 90 84. Atalante : +33-(0)4-72 53 24 80. La Burle : +33-(0)4-75 38 82 44. La Balaguère : 0802 022 021.

Updated on 06 Octobre 2016