Tous en chœur, chantons !

15 Septembre 2004

 

Nous avons tous envie de croire à cette idée simple que chacun peut trouver son rôle dans un groupe et que les voix les plus ingrates, ensemble, peuvent produire de l’harmonie et de la beauté. C’est en tout cas ce que révèle l’extraordinaire succès des Choristes, le premier long métrage de Christophe Barratier, ainsi que celui de la bande originale du film dont le cédé vogue toujours en tête des ventes musicales.

Une belle histoire racontée au cinéma mais qui s’est passée en vrai au moment du tournage, comme en témoigne Gérard Jugnot, l’interprète du pion Clément Mathieu, maître d’œuvre de cette chorale rédemptrice. « Les enfants qui chantaient sur le play-back au début du tournage, pour la plupart très mal, ont, comme dans l’histoire, terminé le film en chantant formidablement bien. J’ai vraiment découvert la force de la voix chantée. Savez-vous que beaucoup de gens chantent dans des chorales ? »

De fait, en 1997, le ministère français de la culture avait recensé plus de 6000 chorales et ensembles vocaux et plus de 4,3 millions de Français de plus de 15 ans qui chantaient. Gageons qu’en sept ans, avec le succès actuel du karaoké, de la Star Academy, des groupes de copains et des ensembles avec chef de chœur, ces chiffres ont explosé. Le phénomène n’est pas circonscrit à l’hexagone. Il y est plus spectaculaire peut-être car la France, côté pratique musicale, était en retard par rapport aux autres pays européens.

Mais pourquoi un tel engouement ? « Quand on chante, ça aide. Je ne sais pas... ça ouvre une nouvelle porte », explique Valérie qui, depuis trois ans, fait partie d’une chorale. « Chanter dès le matin peut euphoriser pour la journée, explique Béatrice P., qui fait de l’éveil musical en milieu scolaire et est aussi chef de chœur. Le chant est un extraordinaire antidote à la déprime et une bonne façon d’exprimer ses émotions. » Nous connaissons tous la boule dans la gorge qui nous étouffe parfois et dont on n’arrive pas à se débarrasser. Il suffit pourtant que la radio diffuse une chanson qui nous replonge dans un moment émouvant de notre vie pour que nous nous mettions à fredonner le refrain. Et alors instantanément, nous nous sentons plus légers.

 

Un outil d’insertion

La plupart des chanteurs amateurs racontent à quel point l’exercice les relaxe, les met sur un petit nuage ou les rend euphoriques. Ce n’est sans doute pas un hasard, si lors des grandes fêtes de familles, et tout spécialement pour les mariages et les anniversaires, on chante. Et toutes les générations, d’entonner en chœur « boire un petit coup, c’est agréable »... D’ailleurs, il est de bon ton, d’ouvrir la fête par une chanson sur un air connu, avec des paroles écrites pour la circonstance.  

Le “chœur d’Artichaut”, créé et animé par Nathalie Zanon, offre un spectacle par mois aux maisons de retraite, hôpitaux, foyers de personnes handicapées ou sans domicile fixe. « Notre objectif premier, explique-t-elle, est d’apporter aux plus démunis un peu de réconfort et de vivre ensemble un moment chaleureux. » Côté choristes, ce sont des jeunes venant d’horizons socio-culturels très variés. Le chœur accueille en effet des personnes que la société insère avec difficulté du fait de leur situation sociale, de leur handicap ou de leur culture étrangère.

Le chant choral est un formidable outil d’insertion et de partage, un véritable antidote à l’individualisme. Brigitte Bourcier, volontaire permanente du Mouvement ATD Quart-Monde, et Jean-Paul Baget, chef de chœur, sont à l’origine d’un Atelier Chant. « Depuis sept ans, explique Brigitte, cet atelier réunit des personnes issues de mi-lieux très différents. Certains ont connu la misère ou vivent encore dans une situation très difficile, d’autres ont une place reconnue dans la société. » Les personnes en situation d’exclusion trouvent là un chemin privilégié pour tisser des relations positives avec les autres. « Cela fait trois ans que j’ai découvert “l’Atelier Chant” animé par Jean-Paul, témoigne une autre bénévole. Le chant implique une tenue corporelle, aide à prendre conscience de ce qu’on est, à trouver sa place physiquement au sein d’un groupe. Ce qui m’a frappée, c’est le changement relationnel, le fait de ne plus avoir peur de regarder l’autre et puis de se montrer tel que l’on est. Parce que lorsqu’on chante, on ne peut pas “bluffer”. » Les plus démunis trouvent ainsi une place au sein du groupe et cela les aide considérablement car, remarque Madame Vitré, « la pauvreté, c’est quand on n’a pas d’argent. Parfois le pire encore, ce n’est pas de manger seulement du pain ou du café, c’est de regarder la vie passer et de ne pas être dedans. »

 

Du bonheur pour tous

La voix, c’est quelque chose qu’on ne peut pas nous prendre. Il faut seulement oser l’utiliser. Le groupe est là pour cela. Tous les choristes le disent, c’est un cocktail de complicité, de convivialité, d’esthétisme et de dépassement de soi. « Si quelqu’un chante faux, ce n’est pas grave, remarque Béatrice P., parce qu’il est porté par le groupe. Un jour, il va se mettre tout naturellement au diapason. J’ai remarqué aussi que souvent, au début, je n’entends pas la nouvelle personne. C’est comme si elle retenait le son. Mais elle est heureuse d’être là et elle prend du plaisir, et ce qui est extraordinaire, c’est le jour où elle se laisse aller à chanter avec tout son être. J’entends alors sa voix qui s’intègre parfaitement à l’ensemble : je lis la joie sur son visage. »

Béatrice comprend d’autant mieux qu’elle passe de son rôle chef de chœur à choriste dans la maîtrise de Notre-Dame. Christophe, qui chante avec elle, fait remarquer combien « les vibrations des chants religieux sont apaisantes ». Ils se sont rencontrés alors qu’ils étaient élèves de Sœur Marie Keyrouz, la religieuse libanaise qui chante des chants syriaques en araméen, la langue du Christ. Toutes les religions ont leurs chants sacrés que ce soit des prières ou des actions de gr‰ce.

Les vertus du chant sont innombrables. « Chanter, ça entretient les neurones », explique Simone, 72 ans, qui fait partie de deux chorales. Elle ne manque jamais une répétition et n’hésite pas à apprendre les textes les plus modernes pour être au diapason des plus jeunes. « Elle est un modèle pour nous, témoigne Carine, 26 ans. Je ne souhaite qu’une chose, être aussi dynamique et joyeuse qu’elle à son âge. » En plus de l’entraînement de la mémoire, l’exercice fait travailler en douceur un tas de muscles à commencer par ceux du visage. Le chant, un lifting naturel, pourquoi pas ! Ce qui est certain, c’est que le chant oblige à une respiration ventrale, la plus profonde et, rien de tel pour oxygéner tout son corps.

Pas étonnant donc que le chant soit utilisé de plus en plus comme moyen thérapeutique. « Les inévitables tensions psychiques et les artifices intellectuels qui s’ensuivent faussent le fonctionnement du système respiratoire et, par là, l’émission de la voix, explique Serge Wilfart, l’un des pionniers qui exerce à Tournai, en Belgique. Une pratique précise et adéquate du chant amène le sujet à prendre conscience de sa respiration, alors que jusque là il se contentait le plus souvent d’un inspire superficiel, thoracique, générateur de tensions. » Le travail respiratoire inhérent au chant permet donc de libérer le patient des angoisses profondes et des anxiétés bien ancrées.

Une séance d’une heure chez Marie-Christine Reculard, ancienne choriste qui désormais consacre sa vie aux autres, se déroule en trois parties. Il y a d’abord un temps de parole, puis des exercices de yoga et de respiration et enfin le chant. « Quand mes clients repartent, ils sont heureux », remarque-t-elle avec une certaine candeur. « Dans le temps de parole avec Marie-Christine, explique Philippe, nous analysons ma façon de voir les choses et c’est la manière de se crisper sur les aspects plus négatifs qui me rend malheureux. Souvent, c’est bien plus simple qu’on le croit. Parler permet de mettre tout à plat. Après on se détend physiquement, puis on chante. Là, je me concentre sur ce que je fais sinon je n’arrive pas à chanter. Etre ainsi dans l’instant apaise mon esprit. Alors quand je repars, je vois les choses de manière plus juste et, du coup, je me sens bien. »

Le chant s’avère être aussi un excellent moyen de préparer une naissance. Outre le travail respiratoire qui entre maintenant dans toutes les préparations à l’accouchement, lorsqu’une femme chante pendant la grossesse, elle offre un véritable massage sonore pour le bébé. On sait maintenant que le fœtus est excessivement sensible au bruit et que l’écoute de sons harmonieux l’apaise. Ces chants prénatals ont le même rôle que les berceuses que chante la maman pour calmer ou endormir son bébé.

Ainsi, il semble bien que le chant soit une véritable panacée à la portée de tous. Alors unissons nos voix et, tous en chœur, chantons !                                       

 

Pour en savoir plus :

* Yva Barthélémy, La Voix libérée,

Robert Laffont éditeur, 21 €

- Serge Wilfart, Le chant de l’Etre,

Albin Michel, collection Espaces Libres, 6,95 € 

 

 

Updated on 06 Octobre 2016