Une tasse d’humour, s’il vous plaît
Pour Cyprien, trentenaire, « l’humour en général est un outil vital qui permet de désamorcer les crises ». Il est nécessaire dans l’éducation et, sans se cantonner à l’enfance, a son utilité à tous les âges de la vie comme « instrument de paix familiale et de réconciliation indispensable », argue ce journaliste féru de bandes dessinées. User de l’humour « n’est pas le signe d’une vie légère, ce n’est pas non plus quelque chose de pathologique, c’est un outil qui permet de calmer le jeu », analyse-t-il en se souvenant de ses deux grands-pères maternel et paternel qui faisaient des jeux de mots à tire-larigot, sans que cela ne les empêchât d’être patron d’entreprise, ou d’avoir des responsabilités comme maire du village.
Quitte à frôler le stéréotype du « cancre » qui débite ses blagues au fond de la classe, à l’instar de l’écrivain Jean-Charles, on conviendra aisément que s’il manque une personne « drôle » dans un repas de famille, l’on risque fort de s’ennuyer.
Avoir de l’humour représente « un contrepoint très important pour la cohésion de la famille », renchérit Cyprien, qui constate « l’importance de la figure du bouffon dans l’histoire, aussi bien à l’échelle des sociétés qu’à l’échelle des familles. Dans la vie féodale par exemple, le bouffon avait le droit de dire des choses que le commun des mortels n’avait pas le droit de dire face au roi. Dans la culture populaire aujourd’hui il y a les humoristes qui sont devenus des figures extrêmement centrales dans la vie médiatique, cela canalise aussi pas mal de tensions dans la société ».
Il n’hésite pas à penser que « beaucoup de catastrophes familiales sont liées au fait qu’il y a un manque de bouffons. Il faut qu’il y ait à un moment donné quelqu’un qui dédramatise l’affaire, sinon c’est imbuvable ».
Peut-on apprendre l’humour ?
Dans certaines familles, on rit plus que dans d’autres. « Il y a un côté mimétisme, l’imitation de ce qu’on entend en famille, dans les repas, tout cela infuse dans une personnalité », reconnaît Cyprien.
En revanche, quelqu’un dénué de sens de l’humour peut-il évoluer ? « Un adulte, je ne sais pas, mais un enfant, certainement », répond Caroline, une jeune mère de famille. Tout en tempérant : « L’humour peut s’affiner peut-être, mais pas totalement s’apprendre ». Et de constater les différences de sens de l’humour entre ses quatre enfants. « Certains seront attirés par les jeux de mots et d’autres par une ironie presque grinçante. Ma fille pratique beaucoup l’auto-
dérision. Un de mes fils adore les clowns, l’autre pas du tout, il ne supporte pas non plus les scènes comme l’arroseur arrosé, les instants qui frôlent le ridicule ». Pour Caroline, « ces affinités naturelles pour tel ou tel genre d’humour traduisent certes des sensibilités, des prises de position de l’ego, mais surtout des visions de la vie ».
Cyprien estime qu’éduquer l’enfant à « un minimum d’ironie » est indispensable. « Les couacs, les petits accidents de la vie quand ils ne sont pas graves, peuvent faire du bien, ils rappellent que la vie est faite d’imperfections aussi ». Cultiver l’aptitude au rire permet de ne pas vivre tout comme un drame. « Une mauvaise note à l’école, ce n’est pas la fin du monde, même les petites disputes du quotidien, on peut en rire ensuite… il y a pleins de choses qui ne sont pas si graves que ça et qui ne nous empêchent pas d’avancer ».
La bonne dose d’humour
« Cela étant, il y a aussi le bon moment à choisir. Est-ce toujours judicieux de faire de l’humour ? On peut évidemment “arracher un sourire” – comme on dit – à un enfant qui pleure, mais je crois que le secret est qu’il sente de la tendresse. Je ne peux pas forcer un enfant à dédramatiser, à prendre de la distance, à oublier son chagrin, simplement en faisant une boutade. S’il ne se sent pas entendu dans sa souffrance, le trait d’humour peut au contraire renforcer sa frustration ».
L’humour peut également cacher du mépris, un manque de véritable attention, voire être blessant. « Il y a une structuration un peu naturelle dans les groupes – et c’est vrai à 10 ans, à 15 ans, comme à 30 ans –, qui va pointer un bouc-émissaire pour souder les membres. C’est un peu le mécanisme de toutes les sociétés primitives et modernes », convient Cyprien. Pour éduquer les enfants à un humour qui ne soit pas destructeur, Caroline suggère par exemple de veiller aux qualificatifs et aux surnoms qui, sous couvert de rire, « créent une image de soi désastreuse dans la construction de la personnalité ».
Mais l’éducation ne doit pas « fixer des fils barbelés par rapport à la culture populaire » et « ce n’est pas forcément en interdisant à ses enfants de voir un sketch vulgaire de Jean-Marie Bigard qu’on les fait progresser », assure Cyprien. L’éducation doit enseigner « une capacité de lecture critique » et « une certaine subtilité », ainsi qu’à « ne pas se complaire dans la vulgarité et la méchanceté ». En bref, Cyprien plaide pour « l’humour salvateur, instrument de paix et de promotion, qui permet de redonner à la vie une saveur douce ».