Crise: la doctrine sociale de l'Eglise
Depuis près d’un an, les clignotants de l’économie  mondiale sont au rouge : les bourses enregistrent des baisses historiques, les  banques rechignent à prêter aux particuliers, dans les pays industriels, la  croissance ralentit, les usines ferment et le chômage augmente. Si le P.  Jean-Yves Calvez, jésuite spécialiste de la doctrine sociale de l’Eglise,  rappelle que les crises boursières sont fréquentes, comme en 1998 en Russie ou  en 2001-2002 en Argentine, pour lui la crise actuelle est différente. Il  s’agirait d’une crise avec un grand C, comparable à celle de 1929. Des  dérèglements et des excès qui posent des problèmes éthiques. 
Laxisme  et facilité du crédit
Ceux-ci apparaissent dans les mécanismes de la  crise des subprimes, ces crédits à taux variables accordés à des ménages  américains fragiles au début des années 2000. Pour le P. Calvez, l’abus de  crédit aux Etats-Unis a entraîné une perte de confiance quand ces ménages n’ont  plus pu rembourser (été 2007). Cette crise est une « crise du laxisme généralisé  et des crédits trop faciles », résume Jean-Yves 
Naudet, professeur  d’économie éthique à l’université d’Aix-Marseille III et président de  l’Association des économistes catholiques de France. Il cible trois niveaux de  responsabilités : la Réserve fédérale américaine et le gouvernement qui en  baissant les taux directeurs ont baissé le prix du crédit pour maintenir la  consommation et la croissance à un niveau important, les banques qui ont accordé  des prêts à des ménages modestes, enfin les ménages eux-mêmes qui empruntent  pour consommer plus. 
« Ce qui est immoral, c’est la facilité que procurent  les crédits. L’idée que l’on peut obtenir des choses sans effort, que tout est  possible en permanence », note le professeur d’économie éthique. Prêter à des  gens qui se mettent ensuite dans des situations inextricables pour rembourser  est également une erreur morale. « Celui qui voit la cause de la crise  financière uniquement dans un manque de transparence et d’imputabilité  juridique, ne voit sans doute pas que c’est bien plus notre modèle de société  lui-même qui est en question. Un modèle économique qui se base sur la  consommation continue et sans limites de ressources limitées, va dans la  mauvaise direction », a souligné pour sa part Mgr Adrianus Van Luyn, le  président de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece),  lors de sa séance plénière d’automne. 
Un point fait l’unanimité : cette  crise met en exergue la mise à l’écart par les marchés financiers de l’Homme,  transformé en moyen. Comme l’analyse Mgr Giampaolo Crepaldi, secrétaire du  Conseil pontifical Justice et Paix dans un entretien à Radio Vatican : « Nous  n’en serions pas là si nous avions traité le marché comme un moyen et non comme  une fin. » Il reprend un principe fondamental de la doctrine sociale de l’Eglise  énoncé dans différentes encycliques depuis Léon XIII et Rerum Novarum  (1891) : dans la vie économique et sociale, il faut honorer et promouvoir la  dignité de la personne humaine.
Remoraliser le système  ?
Faut-il, dès lors, remoraliser le capitalisme, comme le répète le  Président de la République française ? « Ce n’est pas le capitalisme qu’il faut  moraliser, mais les gens », tranche le P. Calvez. Pour Jean-Yves Naudet, en  lui-même, le système capitaliste n’est pas immoral. Il est neutre. C’est ce que  réaffirmaient en d’autres termes, le 8 octobre dernier, les évêques du Conseil  pour les questions familiales et sociales : « Le marché libre, à condition de  respecter certaines exigences, demeure sans doute l’instrument le plus efficace  pour utiliser les ressources et répondre aux besoins des hommes et des sociétés  de façon efficace. » Il laisse leur liberté aux acteurs économiques. A condition  que les dés ne soient pas pipés et que la minorité possédant argent, pouvoir et  savoir n’écrase pas le plus grand nombre. « Le marché peut véhiculer le bien  comme le mal, car c’est un système de libre choix, rappelle Jean-Yves Naudet,  mais plus la liberté est grande, plus il est nécessaire de poser des limites  morales ou éthiques. » Peut-on laisser faire des pratiques comme la  commercialisation du corps humain qui se développe avec les banques privées de  sperme ou du sang du cordon ombilical ? 
Plutôt que de moraliser le  capitalisme, il faudrait, selon l’économiste, éduquer les consommateurs et les  producteurs à l’éthique catholique. « L’Eglise n’a pas de solution pour faire  remonter la bourse, elle est par contre experte en humanité », assure Jean-Yves  Naudet. Pour lui, le message anthropologique de l’Eglise peut entre autres faire  évoluer les pratiques managériales des entreprises. La Comece prône par exemple  “la modération” qui pourrait constituer le pivot d’un changement de mode de vie.  Elle appelle aussi les catholiques à distinguer l’essentiel du superflu. 
Si  diverses autorités ecclésiales se sont déjà exprimées sur cette crise, le P.  Calvez estime que depuis une vingtaine d’années les questions économiques et  financières sont un peu laissées pour compte. Dans les années 1980, Jean-Paul II  a beaucoup œuvré pour le développement des pays pauvres et leurs remises de  dettes, grâce au cardinal Roger Etchegaray. 
Un document récapitulant les  encycliques sociales a été publié en avril 2004, Le Compendium de la doctrine  sociale de l’Eglise. Il développe ses quatre principes (la dignité de la  personne humaine, le bien commun, la subsidiarité et la solidarité), et  réaffirme notamment que « si elle est vécue moralement, l’économie est la  prestation d’un service réciproque, à travers la production de biens et de  services utiles à la croissance de chacun » (par. 333). Mais sur les questions  émergentes, comme la globalisation ou la financiarisation de l’économie, rien de  significatif. Un silence que le Pape Benoît XVI devrait bientôt rompre en  publiant une encyclique qui pourrait s’intituler Caritas in Veritate  (L’Amour dans la Vérité).
Une  réflexion éthique
« Cette crise nous invite tous à nous interroger sur  nos modes de vie. 
[…] Ceci suppose une réflexion éthique et un engagement :  pour que l’on s’interroge sur des pratiques spéculatives visant la rentabilité  maximum à court terme, pour que l’on revoie les systèmes de rémunération et de  gratification des dirigeants d’institutions financières surtout quand ils ont  contribué à la crise ou pourraient en tirer profit de manière inconsidérée, pour  que soient mis en place les moyens d’une plus grande traçabilité de l’argent et  d’une meilleure identification des risques, pour que l’économie développe un  recours plus raisonné au crédit, pour que le marché financier, par des  investissements socialement responsables, soit réorienté au service d’une  économie productive et modulée par les exigences  environnementales. »
Déclaration des évêques français du Conseil pour  les questions familiales et sociales (8 novembre  2008).
 
                 
                