Le jardinage, un lien entre les générations
Le jardinage a le vent en poupe : en France, depuis environ 25 ans, la réduction du temps de travail a largement contribué à l’essor du jardinage au sein de la population active, au-delà des seuls retraités et des ruraux, traditionnellement attachés à leur jardin. Plus de 26 millions de Français cultivent des fruits et des légumes, et près de cinq millions ont des poules, qui leur fournissent donc des œufs.
L’enjeu, pour de nombreuses familles, est de limiter les dépenses en grandes surfaces en misant le plus possible sur une autoproduction, suivant le rythme des saisons et de la nature. Mais dans certains cas, le jardin est aussi un lieu de convivialité et de lien familial et intergénérationnel. Et de nombreux jeunes urbains, dont certains parviennent à cultiver au moins quelques pots sur leurs balcons, se souviennent avec nostalgie de leurs grands-parents qui faisaient vivre leurs jardins.
Ce fut notamment le cas d’André, décédé en l’an 2000, qui cumula 72 ans d’activité agricole, de 16 à 88 ans, dans une ferme de Picardie, avant de prolonger dans le jardinage son amour de la terre. Sa surdité profonde limitait ses interactions, mais la venue de ses petits-enfants pour tondre la pelouse constituait pour lui une occasion de partager quelques instants de complicité… et de démontrer ses bons réflexes, même à plus de 90 ans, en bondissant sur le côté lorsqu’un ado distrait le frôlait d’un peu trop prêt avec la tondeuse.
Un quart de siècle après son décès, de nombreuses conversations familiales tournent encore autour de la figure inébranlable du grand-père qui cultivait infatigablement ses carottes, ses poireaux, ses fleurs, mais tentait aussi quelques expériences originales avec des topinambours – légume dont le souvenir se rattachait aux restrictions de la guerre – ou des bonsaïs, rare expérience « exotique » pour un homme qui n’avait presque jamais voyagé. Parfois, il s’endormait en cultivant ses plantes, ce qui donna quelques frayeurs à ceux qui le retrouvaient assoupi par terre. « Papa rêvait de mourir dans son jardin. Cela aurait été une belle mort pour lui, sur sa terre », reconnaît sa fille. Ironie de l’histoire, il est décédé dans son lit, quelques jours avant la présentation à la famille du futur mari de sa petite-fille, un homme passionné de jardinage avec qui il aurait pu nouer d’intenses conversations.
Un jardin comme héritage
Dans certains cas, y compris en dehors du périmètre strictement familial, le jardinage constitue une occasion précieuse de lien entre personnes de générations différentes. Adélaïde, jeune journaliste franco-italienne, habite dans un village du canton du Valais, dans le sud de la Suisse, situé à 2 000 mètres d’altitude, où de nombreux habitants entretiennent leur jardin potager. Ces terrains appartiennent à des familles ou à la commune, qui les prête gratuitement aux habitants, à condition de bien les entretenir.
« Quand je suis arrivée dans le village en août 2023, je voulais avoir un jardin car je suis très attachée à la terre. Mes parents avaient un très grand jardin, j’étais souvent mise à contribution quand j’étais petite, je voyais aussi mes grands-parents jardiner. J’avais ce besoin de revenir en contact avec la nature, de passer du temps dehors, après cinq années passées dans la frénésie d’une grande ville », raconte-t-elle.
Un projet vite concrétisé, et même au-delà de ses espérances : « La commune m’a prêté un petit terrain, mitoyen au jardin de Véronique, une femme qui avait un cancer du pancréas. Elle était très assidue dans son jardin, allant jusqu’à le désherber à la pince à épiler, un signe de l’esprit suisse très minutieux ! Elle m’a proposé de l’aider, puis de me céder son jardin quand sa santé ne lui permettait plus d’en garder la charge », se souvient la jeune femme, qui, à partir du printemps 2024, a donc pu prendre soin des fraises, des framboises, des épinards qui avaient été semés et plantés par Véronique.
« Il y avait aussi beaucoup de tournesols, des roses, des tulipes… En 2024, le 27 août, à la veille de mon anniversaire, je me suis offert un grand bouquet de fleurs… et Véronique est décédée dans la nuit. J’y ai vu un signe, comme si ce bouquet était finalement pour elle. J’ai posé ensuite un autre bouquet avec les fleurs de son jardin sur son cercueil à la chapelle ardente, et ces fleurs l’ont aussi accompagnée lors des obsèques », se souvient-elle avec émotion.
Un an après cet épisode, la jeune femme reste très reconnaissante de cette passation du jardin. « Hériter de la terre de quelqu’un, c’est un immense cadeau ! C’est très fort, c’est quelque chose qui porte du fruit, au sens propre », raconte Adélaïde, qui a pu continuer à entretenir ce jardin grâce à l’aide d’un voisin retraité, un paysan de la montagne. Elle y trouve aussi un moyen de s’intégrer dans le village. « Mes voisines, des dames âgées, ont été heureuses que je leur offre des roses... Cela crée du lien », se réjouit-elle.