Une douce et sainte nuit réparatrice
Un petit fourmillement dans les jambes, d’abord à peine perceptible puis… plus rien. Le silence, l’immobilité, la dépendance. La vie de Jean avait basculé depuis exactement six mois. Dans la nuit du 24 au 25 juin, un accident vasculaire cérébral avait enfermé ce retraité de 64 ans, autrefois actif et sportif, dans une sorte de « cage » mentale et physique, même si son épouse, Sylvie, guettait des signes de guérison dans chacun de ses regards.
Leur petit-fils Théo, 5 ans, avait du mal à comprendre pourquoi son grand-père ne répondait plus à ses questions et ne l’accompagnait plus dans le jardin pour jouer au ballon. Olivia, la maman de Théo, essayait simplement de lui expliquer que son papy était très fatigué mais qu’il pourrait à nouveau jouer avec lui un jour. Fille unique de Jean et de Sylvie, Olivia, qui était professeur de sport et avait un mari militaire en service à l’étranger, avait la conviction que la constitution solide de son père l’aiderait à remonter la pente.
Durant sa longue hospitalisation, les séances de rééducation permirent en effet à Jean de retrouver une certaine autonomie, au moins pour boire, manger, faire sa toilette. Des petits pas vécus par Sylvie comme des victoires significatives. Elle ne cessait de l’encourager avec amour et patience, identifiant parfois un « merci » dans le regard de son mari qui semblait souvent chercher ses mots, sans les trouver.
Lors du premier dimanche de l’Avent, le soin mis par Sylvie, Olivia et Théo à décorer la maison l’avait visiblement ravi. Tout ce qui évoquait la fête de la Nativité semblait éveiller quelque chose d’intense dans le regard de Jean. Tout au long de ce mois de décembre, chaque soir, durant près d’une heure, il restait en prière en fauteuil roulant devant la crèche, en tenant la main de sa femme, fermement. Après chacun de ces longs temps passés en silence devant la crèche, quelque chose semblait s’apaiser en lui, se détendre. Les mots ne revenaient pas, mais ses mouvements retrouvaient une certaine coordination, comme si son corps se réveillait progressivement d’une longue paralysie.
La nuit du 24 au 25 décembre marquait le cap des six mois depuis l’AVC de Jean, qui n’était plus sorti de sa maison depuis son retour de l’hôpital, en septembre. En pointant du doigt l’annonce dans le bulletin paroissial, il avait fait comprendre à son épouse qu’il tenait à se rendre à la messe de la nuit de Noël. Ce soir-là, avec l’aide d’Olivia et sous le regard intrigué de Théo, Sylvie parvint à faire monter Jean dans la voiture et à l’emmener à l’église.
À leur arrivée, les autres paroissiens furent émus de revoir Jean, qui ne leur répondit que par un regard brillant et un hochement de tête, mais qui reconnaissait chacun. Puis vint le temps de la messe. Au fil de cette liturgie, simple mais belle, rythmée par les chants traditionnels de Noël, les yeux embués de Jean laissèrent place à de vraies larmes, qui tombaient sous sa chaise, formant comme une flaque. Toutes les larmes contenues depuis six mois – ou peut-être même depuis 64 ans – dans le cœur de cet homme semblaient soudainement libérées par l’entremise et du Divin enfant et des Anges dans nos campagnes.
Le célébrant, un jeune prêtre qui venait d’arriver dans la paroisse et ne connaissait pas Jean, avait remarqué la présence de cet homme en fauteuil roulant qui semblait extrêmement bouleversé. Au moment de la communion, avant de se mettre en position pour distribuer l’hostie aux fidèles qui s’avançaient dans la file, il prit l’initiative de se déplacer dans l’allée latérale pour donner d’abord la communion à Jean et ses proches. Lorsque cet homme qui semblait paralysé reçut l’hostie, la surprise fut énorme pour tous les fidèles présents lorsqu’ils l’entendirent prononcer un tonitruant « Amen ! », lancé avec tellement de conviction qu’il fit même sursauter une partie de l’assistance.
À la fin de la messe, Jean demanda à son épouse, à sa fille et à son petit-fils de se rapprocher de lui. « J’ai ressenti beaucoup d’amour ici. Je crois que je suis guéri ! », leur dit-il avec une étonnante fluidité. De retour à la maison, c’est lui qui déposa la statuette de l’Enfant Jésus dans la crèche et entonna avec force « Il est né le divin enfant », sans hésitation sur les paroles. Le miracle de la Nativité avait redonné sa pleine capacité d’expression à cet homme qui, dans sa prière silencieuse devant la crèche durant tout ce mois de décembre, n’avait cessé de formuler cette demande : « Seigneur, je t’en supplie, donne-moi simplement la force de dire à ma femme, à ma fille et à mon petit-fils que je les aime ! ». En cette douce et sainte nuit, comme si sa douleur avait été « lavée » par une cascade de larmes, son vœu fut exaucé.