Antoine, le théologien de tout le monde

Saint Antoine est l’un des saints les plus populaires, mais cette popularité est paradoxalement associée à une méconnaissance de l’enseignement théologique du saint, qui n’est pas seulement un « faiseur de miracles mais aussi un vrai maître spirituel ».
04 Juin 2023 | par

« Dans tous les pays où il y a un culte catholique, on vient allumer des cierges devant sa statue, déposer des fleurs, s’arrêter un instant pour prier. » Sa statue ? Celle d’Antoine de Padoue ! Ces mots sont ceux d’un franciscain bien connu des lecteurs du Messager de Saint Antoine, puisqu’ils sont ceux du frère Valentin Strappazzon, longtemps directeur de notre revue, dans un opuscule paru en 19941. « Pour le culte populaire, Antoine fait partie des saints les plus familiers du monde catholique. »
« Présent partout, dans l’espace et le temps, Antoine de Padoue est le saint de tout le monde, selon l’heureuse expression de Léon XIII », écrivait encore le frère Strappazzon. Le nom de saint Antoine de Padoue est d’ailleurs bien plus connu que sa propre vie. En effet, confirme le journaliste et spécialiste de la vie des saints, Xavier Lecœur, « il existe de très nombreuses dévotions liées à saint Antoine de Padoue » : la « treizaine » (prier saint Antoine pendant les treize jours qui précèdent sa fête), la « prière des neuf mardis » (invoquer saint Antoine pendant neuf mardis consécutifs puisqu’il a été inhumé ce jour-là), le « pain de saint Antoine » (habitude dans certaines paroisses franciscaines de bénir des petits pains et de les distribuer aux fidèles présents chaque 13 juin) ou encore le « bref de saint Antoine » (prière contre le démon).
Sans nul doute, la dévotion la plus connue est celle de la prière pour retrouver les objets perdus, selon la peu dogmatique injonction populaire : « Saint Antoine de Padoue, grand voleur, grand filou, rendez ce qui n’est pas à vous ! ». Une formulation qui trahit pourtant l’origine de cette intercession particulière… Selon un fioretti, Antoine aurait été victime d’un voleur mais ce dernier se serait contrit et aurait rendu son bien au futur saint après une prière de celui-ci.

Contrebalancer le culte populaire
Toujours populaires, ces dévotions au saint remontent pourtant à sa vie même. « Cette confiance s’est manifestée très tôt, puisque plusieurs miracles ont été enregistrés de son vivant, explique Xavier Lecœur. Juste après sa mort, de nombreuses guérisons miraculeuses, dues à son intercession, se sont produites auprès de son tombeau. »
« Outre ses talents de thaumaturge, saint Antoine est devenu aussi populaire par son grand amour des pauvres et sa proximité très franciscaine avec les plus faibles ainsi que par la jeunesse, la douceur et l’innocence qui émanent des statues qui le représentent », poursuit le journaliste.
Canonisé en 1232, 11 mois seulement après sa mort, Antoine verra son culte se répandre aussitôt dans toute la péninsule espagnole, mais aussi dans le monde entier, grâce aux marins portugais, ses compatriotes. « En France, souligne Xavier Lecœur, le culte de saint Antoine de Padoue s’est beaucoup développé avec les vagues d’immigration italienne à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. »
En parallèle, indique le frère Strappazzon dans son ouvrage, « la liturgie, l’action pastorale des religieux chargés de la basilique de Padoue et la voix des papes et des évêques ont cherché à contrebalancer ce culte populaire tendant à réduire la figure du personnage à des dimensions d’intérêts matériels individuels, en le ramenant à son rôle de théologien, de prédicateur, de franciscain et de maître spirituel. »
Cette insistance au long des siècles va aboutir à la proclamation d’Antoine comme docteur de l’Église en 1946 par le pape Pie XII, c’est-à-dire (selon le glossaire des évêques de France) qu’il est reconnu comme un théologien « avec une autorité particulière ». Dans sa lettre apostolique instituant le saint de Padoue comme docteur, Pie XII affirme ainsi que ses enseignements sont « une sorte de trésor de l’art divin de parler (…) pour protéger la vérité, repousser les erreurs, réfuter les hérésies, rappeler les âmes des hommes perdus dans le droit chemin ». Soulignant sa « profonde sagesse des choses divines », il le nomme le « docteur évangélique » car il « utilisait le plus souvent des témoins et des phrases tirés de l’Évangile ».

« Trésor vivant de la Bible »
Si cette proclamation comme docteur n’interviendra que sept siècles après la mort d’Antoine, elle n’est que la formalisation d’une reconnaissance déjà existante. « Cette réputation de grand connaisseur des Écritures s’était développée de son vivant même », précise Xavier Lecœur. Ainsi, le pape Grégoire IX qui le canonisera et l’avait lui-même entendu prêcher le considérait comme un « trésor vivant de la Bible ». Et à en croire Xavier Lecœur, « après sa canonisation, saint Antoine de Padoue a bel et bien été considéré comme un “docteur de l’Église” au sein même de son ordre, les Frères Mineurs ».
Pour lui, « la proclamation de 1946 a aussi permis de rappeler que saint Antoine de Padoue n’est pas qu’un puissant faiseur de miracles mais aussi un vrai maître spirituel ». Cette insistance va d’ailleurs se retrouver dans l’enseignement des papes autour de saint Antoine. En visite à Padoue en 1982 pour le 750e anniversaire de la mort du saint, Jean-Paul II ne mentionne pas une fois dans son homélie les dévotions à saint Antoine et préfère insister sur ses « discours de feu » et la « force spirituelle de ses paroles ». De même, Benoît XVI lorsqu’il lui consacre une audience générale en 2010 se contente de rappeler qu’Antoine est un « des saints les plus populaires de toute l’Église catholique » avant de dérouler toute sa catéchèse sur « ses dons marqués d’intelligence, d’équilibre, de zèle apostolique et principalement de ferveur mystique ».
Cet accent ne veut pas dire que les dévotions à saint Antoine ne sont pas bonnes, bien au contraire. Car, comme l’écrivait le frère Strappazzon, à Padoue « s’est développée une dévotion, accompagnée d’une pastorale catéchétique et sacramentelle d’œuvres humanitaires et sociales ». Et, assurait-il, « ces fruits spirituels sont la preuve la plus évidente que le culte de saint Antoine est non seulement exempt de tout soupçon de superstition, mais s’avère en fait fécond pour le témoignage de l’Évangile et la vie du chrétien ».

1.Petite vie de saint Antoine de Padoue, Valentin Strappazzon, Desclée de Brouwer, 1994

Updated on 08 Juin 2023
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