Laure Solignac : À l’école du maître intérieur

22 Juillet 2017 | par

Athée durant son adolescence, Laure Solignac se passionne pour la philosophie et prend Nietzsche comme maître. Mais le Christ rattrape la jeune normalienne, grâce au théologien franciscain saint Bonaventure. À 37 ans, maître de conférences à l’Institut catholique de Paris, épouse et mère de 3 enfants, Laure Solignac a tout, sauf la grosse tête.

Comment Jésus s’y est-il pris pour vous sortir de l’athéisme ?
À Normale Sup’, à Paris, je voyais de jeunes chrétiens extrêmement brillants et joyeux aller à la messe. Cela a fini par bousculer mes jugements. Je me souviens de longs moments passés dans l’église Saint-Étienne-du-Mont. J’aimais me placer un peu au fond, face au grand Jubé et à son magnifique crucifix. Je l’observais, et j’avais peur d’être attrapée. Je sentais un lien puissant entre nous, un lien vécu dans ma jeunesse et que l’athéisme m’avait fait oublier, mais mon orgueil de jeune philosophe se cabrait contre cette attirance. 

Quel a été le rôle de saint Bonaventure dans ce retour à la foi ?
Un jour, j’ai feuilleté l’encyclopédie mystique de ce théologien franciscain, Les six jours de la Création, à la bibliothèque de la rue d’Ulm. J’ai eu l’impression extraordinaire d’une nourriture incroyable, d’une sagesse complète. Ensuite, à la librairie Vrin, à deux pas de la Sorbonne, j’ai été accrochée par le titre d’un autre de ses ouvrages Le Christ Maître. J’avais le sentiment que Jésus m’attirait, que c’était lui le maître que je cherchais à travers Spinoza et Nietzsche. Je n’ai rien compris à la lecture de ce sermon. Je trouvais ce texte profond et beau, mais ne correspondant alors pour moi à aucune expérience, le sens m’en était fermé. Il a fallu que je me forme à la théologie chrétienne et Bonaventure a été mon maître en théologie, durant les 5 années de travail sur ma thèse, Le concept de ressemblance chez saint Bonaventure. Le rocher de la foi m’a été donné à ce moment là.

Comment Bonaventure fait-il entrer en théologie ?
Avec Bonaventure on commence au commencement, par la Trinité, porte d’entrée de la vie divine. Dans les approches de la foi que j’avais connues étant enfant, on ramenait toujours tout à nos préoccupations. Moi, au contraire, j’ai besoin d’admirer quelque chose de plus grand que moi, quelque chose qui me dépasse. Je tiens cela de mon éducation. Mes parents ont toujours favorisé le sentiment d’admiration de la nature, des lieux, des actions, des personnes. Avec Bonaventure, j’ai retrouvé cela dans le domaine de la foi et de la théologie. Un dépassement de ses limites et en même temps une théologie extrêmement structurante. Cela m’a tout de suite plu.

Bonaventure est-il actuel ? Que peut-il apporter à l’homme contemporain inquiet de l’avenir de la planète, soucieux de la condition animale, mais qui ne croit plus à la vie éternelle ?
Bonaventure dit au chrétien qui ne croit pas à la vie éternelle qu’il n’a pas orienté sa vie vers le souverain Bien, objectif fondamental de son désir. Que ce discours soit reçu par l’homme contemporain est une autre question. Bonaventure pour une part est inactuel et c’est très bien. Cela lui permet de rester vivant.

Comment aider les enfants à ne pas oublier que notre vie ne se limite  pas à l’aujourd’hui, qu’il y a un salut éternel à préparer ?
Je cherche à faire comprendre à nos enfants que le lien fondamental de leur vie doit être avec le Seigneur. Que nous ne sommes présents que par délégation et de passage, comme un relais fragile de l’amour de Dieu. Je leur dis : « Moi, j’ai un cœur humain comme toi, il y a des moments où je n’y arrive plus, je me mets en colère. Mais si tu vas auprès de Jésus, auprès de Maman Marie, tu trouveras des quantités inépuisables d’amour ». Cela les déroute parfois, mais en même temps c’est extrêmement libérateur. Papa et maman ne sont pas parfaits.

Votre travail universitaire a-t-il une incidence sur votre vie familiale ?
Un auteur comme Bonaventure est formidable pour faire le lien entre vie spirituelle, professionnelle et familiale. Dans la vie quotidienne, surtout auprès des tout-petits, on expérimente souvent la relation de dépendance, car le temps est mangé. Bonaventure parle de la relation entre le Père et le Fils dans la Trinité, comme d’une dépendance absolue. Cela m’aide à vivre la réalité quotidienne de dépendance comme non négative. L’autonomie n’est pas la seule valeur. J’ai dû subir trois césariennes, et j’ai eu un aperçu très concret de ce que signifie être complètement remis à quelqu’un, à ne pas en avoir honte, à y voir quelque chose qui relève de l’enfance spirituelle. Bonaventure est vraiment pour moi un théologien de l’enfance.

On peut avoir envie de dépendre mais sans se confondre, comme dans un couple !
Bonaventure a un outil génial pour penser cela, le concept de ressemblance. Le Fils est la ressemblance parfaite du Père, dans une très grande proximité et dans une altérité radicale en même temps. Le Père communique l’intégralité de la nature divine au Fils sauf le fait d’être le Père, il ne s’efface pas dans son être de Père sinon il n’y aurait pas de Fils. Et on ne peut pas inverser les positions. Tout part de la source dynamique sans origine qu’est le Père. C’est codifié comme une danse.

En quoi l’homme est-il concerné ?
La Trinité est le modèle fondamental des relations humaines. Différence, ressemblance et communion vont ensemble. Pour être unis, il faut être différents. Et pour que la différence soit féconde, il faut être unis. Donc il y a une dialectique extrêmement réussie chez Bonaventure, réalisée par le biais de ce concept de ressemblance. C’est l’un des thèmes principaux de ma thèse.

Bonaventure manquerait-il à l’Église s’il n’avait pas existé ? Thomas d’Aquin ne suffisait-il pas ?
J’aime bien rappeler que Thomas d’Aquin et Bonaventure sont contemporains. Leur proximité de pensée est évidente, ce qui n’empêche pas des accents différents. Thomas est le théologien tout court. Bonaventure a le prestige du théologien spirituel. Et de même que la pédagogie divine a prévu quatre Évangiles, qui parlent de la même chose avec des points de vue différents, de même ces deux docteurs sont également nécessaires à l’Église. 

Questionnaire de saint Antoine

Connaissez-vous saint Antoine ? Quelle image avez-vous de lui ?
Petite, ce qui me touchait chez saint Antoine, dont une statue trônait dans l’église de mon village, c’est l’Enfant Jésus porté comme un bienheureux dans ses bras, et auquel je m’identifiais intérieurement. C’était déjà l’idée de l’enfance spirituelle, de la dépendance que je ne confonds pas avec l’aliénation.

Comment priez-vous ?
J’ai été façonnée par la prière ignacienne, enseignement sur la parole, prière d’alliance avec « merci », « pardon », « s’il te plaît ». Je suis actuellement marquée par le carmel, mais aussi la spiritualité du Sacré-Cœur. Le fond de ma prière est toujours la relation avec Jésus.

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
D’abord, quand je suis seule avec lui, dans la prière. Mais de plus en plus, – est-ce le fruit de l’unification ? – dans des choses plus quotidiennes. Avec les enfants, la présence du Christ peut se faire palpable, dans un geste inattendu ou bouleversant. Et même quand je donne un cours, et que je suis concentrée sur mon affaire, je sais que le Seigneur en profite pour toucher les cœurs. Je le sens proche.

Qu’est-ce qui vous a rendue particulièrement heureuse cette année ?
Tous les samedis soirs, depuis le mois de septembre, nous faisons une veillée en famille. Après la récitation du chapelet, celui de la miséricorde qui est plus court, Alexandre, mon mari, comédien né, joue une pièce de théâtre. La joie des enfants, leurs éclats de rire, en écoutant des passages du Malade imaginaire, même s’ils ne comprennent pas tout,  est un grand bonheur.

Updated on 22 Juillet 2017
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