Le Portugal franciscain, capuchos et doce

Pour nous unir en pensée aux jeunes réunis à Lisbonne pour les Journées mondiales de la Jeunesse, explorons ensemble l’histoire franciscaine, au masculin comme au féminin, du pays ami qui a donné saint Antoine à l’Église et au monde.
23 Juillet 2023 | par

Guimarães (55 km au nord-est de Porto). Aqui nasceu Portugal, peut-on lire sur les remparts de cette très belle cité médiévale à l’origine de l’histoire du Portugal. Mais Guimarães, début août, vaut encore davantage le détour, car on y célèbre les Gualterianas, joyeuses fêtes populaires en l’honneur du bienheureux Gauthier, avec procession de ses reliques. Aujourd’hui, beaucoup, y compris au Portugal, ont oublié qui était ce Gauthier. Alors, pour vivre plus authentiquement ces Gualterianas, il est bon de savoir que Gauthier était frère mineur et qu’il a été du nombre des religieux envoyés dans le monde chrétien après le chapitre général d’Assise, en 1217.
De même que Pacifique s’est rendu en France, Gauthier, accompagné d’un autre frère, Zacharie, a pris la direction du Portugal, comme le raconte le chroniqueur Marc de Lisbonne : « Frère Zacharie et Frère Gauthier furent envoyés par le Père saint François, avec quelques autres religieux en Portugal, afin qu’ils y convertissent les pécheurs par leurs prédications et leurs bons exemples. Étant arrivés, ils furent mal reçus et traités, tant parce qu’ils étaient étrangers, qu’à cause de la nouveauté de leur habit ; ne parlant ni espagnol ni portugais, ils n’étaient pas compris et s’exprimaient mal ; enfin, n’ayant pas apporté de lettres patentes de l’approbation de leur règle, on ne voulait les recevoir nulle part, car les Portugais craignaient que lesdits religieux ne fussent quelques hérétiques venus d’Italie ». En cherchant à pénétrer en Allemagne ou en France, les fils de saint François ont connu des difficultés comparables.
Ayant néanmoins réussi à plaider leur cause auprès de l’épouse du roi Alphonse II, la reine Urraque de Castille († 1220), Gauthier et Zacharie obtiennent la permission de fonder des couvents à Guimarães, Alenquer et Lisbonne. Tandis que Zacharie rejoint Alenquer, Gauthier s’implante à Guimarães et y mène une vie sainte qui impressionne et convertit les habitants. Toujours selon Marc de Lisbonne, « le jour de sa mort, qui fut le 2 août [1258], fut longtemps fêté solennellement ; et en raison du grand amas du peuple qui y affluait de tous côtés, pour honorer et révérer les saintes reliques, l’on y faisait une foire générale ». Ce sont les actuelles Gualterianas !

Exubérance et dénuement
Si les débuts furent compliqués, les Frères Mineurs ont vite gagné le cœur des Portugais, et pas uniquement à Guimarães. Dès 1220, ils disposent d’un petit ermitage près de la ville universitaire de Coimbra, et c’est ici, à Santo António dos Olivais, que Fernand prend l’habit de frère mineur et qu’il devient Antoine – notre Antoine. Les couvents se multiplient et ils ont laissé d’imposantes traces architecturales. L’église São Francisco de Porto, construite à la fin du XIIIe siècle, a joué un rôle décisif dans la vie religieuse et sociale de la seconde ville du Portugal. Elle n’a cessé de bénéficier des largesses de la population, au point d’être intégralement recouverte de retables et de boiseries dorées (talha dourada) ayant nécessité environ 300 kg de poudre d’or. Difficile de vivre la pauvreté franciscaine dans un tel environnement.
Mais parallèlement à ces excès, le Portugal a également connu les réformes franciscaines les plus austères que l’on puisse imaginer, notamment celle des capuchos – à ne pas confondre avec les Capucins, les capuchinhos – qui a vu le jour au sud de Lisbonne dans le cadre paradisiaque du versant sud de la Serra da Arrábida. À la fin des années 1530, le frère Martin de Sainte-Marie, un religieux espagnol qui avait passé quelque temps à Rome auprès de frères réformés, fait la connaissance de Dom João de Lencastre, le premier duc d’Aveiro, et lui exprime son désir de vivre en ermite. Le duc lui fait alors cadeau d’une petite chapelle dédiée à Marie, Notre-Dame d’Arrábida, avec le terrain alentour, et demande au ministre général d’autoriser le frère à vivre cette vocation franciscaine particulière. Peu à peu, des frères rejoignent l’ermite, et parmi eux, la figure-phare de la réforme franciscaine dans la péninsule ibérique, saint Pierre d’Alcantara. Tous vivent extrêmement pauvrement, dans de minuscules cellules, trop petites pour s’y allonger entièrement et aux portes incroyablement basses. En 1542, l’ermitage devient couvent, et bientôt essaime, comme à Sintra, au nord de Lisbonne – aujourd’hui lieu de villégiature bien connu des touristes. Ces couvents forment une province en 1560, laquelle compte en 1680 vingt-et-un couvents et plus de trois cents religieux. Au XVIIIe siècle, le roi João V, pour satisfaire un vœu qu’il avait fait à saint Antoine, construit, sur le modèle de l’Escorial, un somptueux palais-couvent à Mafra (40 km au nord-ouest de Lisbonne) et il a l’idée saugrenue d’obliger des capuchos à venir y habiter. Les religieux, consternés, se montrent hostiles à cette décision (on les comprend !), mais en vain.

Les Clarisses et leurs « douceurs »
Les filles de sainte Claire ont aussi répondu à l’appel du Portugal. Petite-fille de sainte Élisabeth de Hongrie, la reine Isabelle, devenue veuve en 1325, se retire dans une maison religieuse à Coimbra, où elle introduit des clarisses venues de Zamora – un monastère espagnol fondé du vivant même de sainte Claire et réputé pour sa grande régularité. C’est dans ce monastère de Coimbra qu’Isabelle est inhumée et que des miracles se produisent sur son tombeau. Au cours des siècles, les crues du Rio Mondego – la rivière proche – s’intensifient, et bientôt le monastère est inondé en permanence. En 1677, les moniales abandonnent leur vieux monastère, pour une grande construction baroque édifiée sur les hauteurs (Santa Clara a nova), et elles y transportent le corps de sainte Isabelle. Les bâtiments médiévaux sont détruits, sauf l’église qui continue d’avoir les pieds dans l’eau. Récemment, des travaux d’assainissement ont rendu à l’église sa beauté primitive et des fouilles archéologiques ont permis de retrouver les soubassements du cloître.
D’autres très beaux monastères de clarisses sont conservés à Porto, Guimarães et Vila Do Condé. Si les Clarisses ne sont plus présentes en ces villes, elles continuent à influencer la gastronomie locale. Les pâtisseries à base de jaune d’œuf que vous consommerez sans modération à Guimarães ont été inventées par les Clarisses. Et à Vila Do Condé, dégustez les Doce Santa Clara, fabricado pelo sistema do antigo convento ! Idéal pour fêter sainte Claire (le 11 août), mais attention, régime à la rentrée !

Updated on 23 Juillet 2023
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