Léopold II, père de la Belgique moderne

À sa mort le 17 décembre 1909, le roi Léopold II s’éteint avec le sentiment du devoir accompli : la Belgique est devenue une puissance de premier plan. Mais le coût humain de la colonisation du Congo continue à ce jour d’entacher son bilan.
29 Décembre 2019 | par

À la naissance du futur Léopold II, le 9 avril 1835, la Belgique se trouve encore dans un état fragile, entre une France qui se verrait bien annexer la partie francophone et une faction orangiste qui souhaite un rattachement aux Pays-Bas, n’hésitant pas à fomenter des coups d’État. Ainsi, celui du 2 février 1831 qui échoue cependant grâce à une vague de froid inattendue.
Son père, Léopold Ier est depuis le 21 juillet 1831 le premier roi des Belges. Il l’est devenu à la faveur d’un soulèvement populaire commencé le 25 août 1830 lors d’une représentation de l’opéra de Portici, La Muette (où les Napolitains se soulèvent contre le roi d’Espagne), et qui aboutit à la création d’un État indépendant, séparé des Pays-Bas. Sa mère est Louise d’Orléans, fille de Louis-Philippe, roi des Français.
La naissance de Léopold assure la continuité dynastique de la Belgique et sa pérennité en tant qu’État. Titré duc de Brabant en 1840, Léopold est un enfant chétif, qui boite et souffre de bronchites. On lui recommande les pays chauds : avant de devenir roi en 1865, il parcourt donc le monde. Il voyage ainsi en Égypte, passionné par le chantier du canal de Suez, parcourt l’Empire indien et pousse jusqu’à la Chine. Il admire le développement économique de Ceylan (l’actuel Sri Lanka) et revient de ses voyages avec une conviction : « Il faut à la Belgique une colonie ».
Tout le monde, dont la reine Victoria d’Angleterre, remarque sa grande intelligence. Léopold parle le français, apprend l’anglais et l’allemand mais ne parlera jamais la langue néerlandaise. À son époque, on parle de la « pauvre Flandre », du Limbourg comme « notre Sibérie à nous ». La richesse et l’industrie sont concentrées en Wallonie. La Flandre se développe plus tardivement, à partir de 1890.

Un mariage malheureux
Entretemps, il a épousé en 1853 l’archiduchesse Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine, petite-fille de Léopold II d’Autriche, avant-dernier empereur du Saint-Empire. Le couple est mal assorti. Lui, froid et austère, elle, vive, brillante et passionnée d’équitation : on les caricature comme le « mariage d’un palefrenier et d’une religieuse », la « religieuse » étant le timide Léopold qui s’est résigné à cette union par obéissance à son père.
Le couple aura plusieurs enfants, trois filles et un seul fils qui meurt à l’âge de neuf ans, ce qui fait que la couronne passera en 1909 au prince Albert, fils de son frère cadet Philippe, le très populaire comte de Flandre. Très vite, le roi trompe ouvertement son épouse et ira jusqu’à épouser quatre jours avant sa propre mort sa dernière maîtresse, Blanche Delacroix, une courtisane roumaine, plus jeune que lui de 50 ans.
Néanmoins, au-delà des tourments et des scandales de sa vie privée, Léopold II est un roi ambitieux et volontariste pour son jeune pays qui s’industrialise au point de devenir pendant quelques années la deuxième nation industrielle du monde après la Grande-Bretagne.
Sous son règne, Bruxelles atteint le million d’habitants et accède au rang de capitale européenne. Il dote la ville de grandes avenues, dont l’avenue de Tervuren, conçue en rapport avec l’Exposition internationale de Bruxelles de 1897, pour relier les arcades monumentales du parc du Cinquantenaire — voulu par Léopold II — au palais colonial de Tervuren. Malgré l’explosion de l’Art nouveau en Belgique, le roi reste fidèle à un style plus néo-classique. C’est ainsi qu’il inaugure en 1883 l’imposant Palais de Justice dont la colossale coupole domine encore la ligne d’horizon de Bruxelles.

L’implacable colonisateur du Congo
Mais Léopold voit plus loin et engage la Belgique dans la « course au drapeau », à la conquête des dernières terres libres d’Afrique centrale. En 1879, il fonde l’AIC, une association chargée d’explorer le continent noir et lutter contre l’esclavagisme des marchands arabes. En fait, ce n’est qu’un paravent pour son projet d’exploitation privée des richesses du Congo : caoutchouc, ivoire et minerais. Il confie une mission de reconnaissance à l’aventurier anglais Henry Stanley qui soumet la région à une exploitation intensive et brutale.
La conférence de Berlin en 1885 accorde à Léopold II la souveraineté à titre personnel (aucun compte à rendre au Parlement ou à ses ministres) de l’État indépendant du Congo. Certes, l’est du pays est délivré de l’esclavage, mais au prix fort : confiscation de terres, travail forcé... La population diminue fortement au point que certains historiens parlent d’un « holocauste oublié ».
À partir de 1900, une campagne de presse venue d’Angleterre provoque l’indignation internationale. L’affaire des « mains coupées » — la mutilation des indigènes récalcitrants — émeut l’opinion. En 1908, Léopold II doit céder le Congo à la Belgique, malgré les réticences du Parlement, persuadé que le pays s’y ruinerait. Si le martyre des autochtones reste à ce jour indéfendable, le Congo belge finit tout de même par afficher le plus haut niveau de vie d’Afrique au moment de son indépendance, en 1960.
De son côté, Léopold II meurt le 17 décembre 1909, réconforté par le sentiment d’avoir réalisé son ambition : la Belgique est devenue un État qui compte.

Updated on 29 Décembre 2019
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