Après la crise, le triomphe de la vie intérieure ?

13 Septembre 2020 | par

Quelles leçons pouvez-vous tirer de cet arrêt brutal mondial vécu cette année ?
Ce fut une invitation à renaître à soi-même. Nous avons soif de communication, de partage, de rapprochement. Une des leçons à garder est d’apprendre à apprécier davantage ce que l’on a et à exprimer des gratitudes nouvelles, à commencer par rendre grâce d’être en vie. Le décompte des morts chaque soir était macabre. Dans la crise que nous avons traversée, il était question de notre précarité, de vie et de mort, ce qui a permis de faire émerger en nous nombre de questions existentielles. Il fallait discerner entre l’important, l’essentiel et le sacré.
 
Quelle société rêvez-vous à la suite de cette pandémie ?
Nous devons œuvrer pour que le monde à venir soit celui de l’essentiel. Nous avons soudainement pris conscience qu’il fallait « prendre soin ». Einstein disait : « il est grand temps de remplacer l’idéal du succès par celui du service ». Avant la crise sanitaire, dans la presse, on parlait de la croissance, des gens qui gagnent des millions, qui montent des start-up et, brusquement, ce monde-là a été éclipsé par les soignants, les vrais héros. L’homme a été poussé dans ses retranchements qui, en langage mystique, correspondent à la vie intérieure. L’homme s’est trouvé face à des questions primordiales : ce que je fais a-t-il du sens ? Ce qui a pu être très violent pour certains ou réjouissant pour d’autres.
 
Quelles valeurs voudriez-vous voir revenir sur le devant de la scène ?
Les sursauts de créativité individuelle m’ont réjoui. Une créativité d’amour à partager. Par exemple, notre nouvelle organisation familiale ne nous serait pas venue à l’idée avant ; nous n’aurions pas vécu cela dans l’ordinaire des jours. Nous devons être plus proches et attentifs les uns des autres, mettre en commun des choses dans une émulation positive. La solidarité s’est faite presque naturellement, notamment vis-à-vis des personnes âgées, fragiles et vulnérables. Les notions de synergie collaborative doivent primer sur l’individualisme et l’indifférence. On peut faire les choses seul, mais c’est tellement mieux ensemble ! Cet « ensemble » nous a manqué pendant cette période. Heureusement il y a eu des élans fraternels et gratuits, suscitant le don de soi sans attente de retour. Oui, on a vécu une créativité de charité ! Cette zone de gratuité était si bonne !
 
Quel monde nous attend si la distanciation sociale devient la norme ?
La crise nous a fait redécouvrir les liens qui nous étaient familiers et auxquels nous ne prêtions pas attention. Dans nos sociétés habituées à la surabondance et au trop-plein, ce manque a quelque chose de bon. Ce désert attise le désir de communication réelle, de fraternité. Cela rejoint Saint-Exupéry : « Je t’enverrai mourir de soif dans les déserts afin que les fontaines puissent t’enchanter ». On a besoin d’avoir soif. Cette période où on ne peut plus se faire la bise, se serrer la main, et où l’on contourne les personnes, nous donne soif de pâte humaine. Les Italiens, qui ont une manière de communiquer très tactile (embrassades, accolades…), nous font comprendre que toutes ces effusions amicales ont du bon. Ce grand manque qu’on éprouve est un exercice intérieur puissamment bénéfique.
 
Certains métiers se sont avérés vitaux pendant la crise…

L’être n’est pas seulement une créature du besoin mais c’est une créature du désir. Pour moi, il y a trois cercles dans notre vie qui se recoupent et il ne faut en mépriser aucun : l’avoir (ce que je possède, les biens), le faire (ce que j’accomplis, les œuvres), l’être (ce que je suis, l’esprit). L’objectif des soignants, c’est la personne humaine. Cette secousse planétaire nous fait comprendre qu’on peut soigner la Bourse, injecter des milliards pour s’en sortir, mais ce qui est incontournable, c’est l’être.
 
Les commandes par Internet, « à distance », ont été les gagnants de la crise… Comment rebâtir le tissu économique et social ?
Il y a l’examen de conscience, et de confiance aussi ! Nous devons apprendre à choisir entre le confort de vie et l’éthique. Est-on prêt à souper avec le diable sous prétexte que la cuisine est bonne ? Où place-t-on notre désir et nos valeurs supérieures ?
 
Cette crise serait-elle le point de départ d’une évolution ?

Le Bangladais Muhammad Yunus (prix Nobel de la paix en 2006 et à l’origine de la première institution de micro-crédit), voit dans cette crise un formidable moment pour changer de cap ! Tant que l’économie restera une science vouée à la maximisation des profits, nous ne pourrons nous appuyer sur elle pour une reconstruction sociale et écologique. Il prétend que le rôle des citoyens ne doit pas être réduit à la sphère privée. Dans nos pays occidentaux, le civisme consiste pour les individus à respecter les lois et à payer des impôts. Il voit le changement à partir de la responsabilisation des individus. « Si nous ratons le coche d’une reconstruction sociale et écologique, nous allons tout droit vers une catastrophe pire encore que celle du coronavirus », affirme Muhammad Yunus. Il veut créer un électrochoc en disant que la meilleure attitude pour sortir de cette crise, ce serait d’oxygéner l’économie pour faire en sorte que les gens créent des microentreprises avec des taux zéro afin d’encourager les initiatives individuelles et donner les moyens de devenir autonomes. Pour cela, il faut croire aux individus.
 
Qu’est-ce qui nous attend après cette crise ?
Le triomphe de la vie intérieure ! C’est la vie qui doit triompher et non l’accablement. Aujourd’hui, il faut choisir son camp : soit les « enténébreurs », soit les « réenchanteurs ». Les « enténébreurs » sont dans une sombre réjouissance et sont alarmistes face au monde qui nous attend. Quant aux « réenchanteurs », ils ne laissent pas leurs rêves et leur espérance se faire prendre par les oiseaux de mauvais augure. Il faut justement prendre cette période comme l’occasion d’un sursaut ! Qu’a-t-on envie de construire ? Il me semble important de relier le Créateur, la Créature et la Création. Or aujourd’hui, on nie le Créateur, on ne veut plus entendre parler de Dieu ; la Création est bafouée (pollution, déforestation…). Quant à la Créature, on n’est pas loin de l’obsolescence de l’humain. Il faut se réveiller sur ces trois points qui sont les fondements de notre humanité. Pour comprendre cela, il faut renouer avec notre enfance spirituelle, or le plus grand drame de notre époque est d’avoir perdu la naïveté. Le désenchantement est la première malédiction de notre monde contemporain.

Updated on 13 Septembre 2020
Laissez un commentaire