Contre l’injustice
Nous nous mettons en colère pour différentes raisons, selon notre caractère et ce qui nous arrive. Cependant, lorsque nous comprenons que c’est la justice qui est bafouée, nous ressentons tous un sentiment de profonde aversion et de rébellion presque instinctive. C’est comme si une étincelle d’indignation s’allumait dans notre esprit.
Saint Antoine est certainement l’une des voix les plus pénétrantes à ce sujet. En effet, même en risquant de payer de sa propre personne, il ne renonce jamais à prononcer des paroles enflammées contre l’injustice, surtout lorsque ce sont les pauvres qui sont lésés à cause de l’avidité de quelqu’un. Il n’hésite pas à comparer les misérables et les usuriers à des dents qui broient et il décrit l’usurier de manière répugnante, comme quelqu’un qui « ne craint pas Dieu et n’a pas de considération pour l’homme ». Celui-ci encore a des dents qui « ont mauvaise haleine, car il a toujours dans sa bouche le terreau de l’argent et le fumier de l’usure » ; des mots terribles ! Et un des miracles du Saint concerne un avare : saint Antoine expliqua un jour qu’il ne fallait pas enterrer dans un lieu consacré un riche Toscan qui venait de mourir car il n’avait plus son cœur. Celui-ci fut en effet retrouvé dans son coffre-fort (cf. image : Le miracle de l’avare, relief par Tullio Lombardo, chapelle du tombeau, basilique Saint-Antoine, Padoue).
Se prosterner devant Dieu ne signifie pas avoir peur de lui ou adopter un comportement soumis, mais reconnaître avec humilité et gratitude que le Seigneur est le miroir de la justice dont nous pouvons nous inspirer. Il donne largement aux pauvres, il donne gratuitement, il donne du pain à ceux qui ont faim, il ne tolère pas la discrimination ; et s’il a des « préférences », c’est à l’égard de ceux qui sont le plus dans le besoin. Tel est le style de Dieu ! C’est ce que signifie « baisser la tête devant lui » : essayer, dans la mesure du possible, de lui ressembler au moins un peu.
En même temps, nous sommes invités à « craindre l’homme », dit saint Antoine, c’est-à-dire à établir avec les autres non pas des relations défensives et craintives, mais à reconnaître en ceux qui sont devant nous une présence sacrée, qui attend de nous respect, transparence et considération. Il nous arrive aussi d’être « avares » à l’égard de certains, non pas parce que nous leur réservons des gestes violents, mais parce que nous nous comportons comme s’ils n’existaient pas.
Il suffit d’éprouver de l’antipathie, ou d’avoir une opinion différente, et nous avons immédiatement tendance à bannir ces personnes de notre horizon. Si nous nous en rendons compte, c’est déjà un bon signe. C’est peut-être l’occasion de se demander comment inventer un nouveau « pas de danse » pour croiser ceux que nous éloignons, que nous « écrasons » de notre indifférence. Il n’y a peut-être rien de plus humain que le courage de ne pas se laisser dominer par nos sentiments d’aversion, et de nous diriger – parfois comme si nous ramions à contre-courant – vers des rencontres renouvelées.