Handicap : « Laisser la vie nous amener là où elle veut »

Clotilde et Nicolas Noël ont eu 6 enfants biologiques. Puis ils ont ressenti le désir d’adopter un enfant et ont accueilli 3 enfants porteurs de handicap et créé l’association Tombée du Nid. Rencontre avec cette famille qui vit avec force et courage.
11 Septembre 2022 | par

Pouvez-vous nous raconter votre désir d’adoption après avoir eu six enfants ?
Nous avons pensé qu’il y avait peut-être un enfant qui existait déjà et qui avait besoin d’une famille. Cette idée d’adoption était à la fois naturelle, étonnante et pas forcément réalisable pour nous. Avant de se marier, mon mari et moi avions un grand désir d’enfants. Puis j’ai été appelée à accueillir un enfant qui avait besoin d’une famille. Cet appel m’a traversée et me réveillait la nuit. L’appel, spécifique à chacun, est quelque chose qui s’invite et qui donne la force, comme pour une vie consacrée. J’ai été traversée par la question : « Pourquoi n’aimerais-tu pas un enfant qui ne viendrait pas de toi ? ». Cela a allumé un feu en moi, même si je suis passée par des phases différentes.
 
Votre appel est-il devenu un appel de couple ?
Je devais être prête à ce que mon mari dise éventuellement « non ». Alors j’ai prié pour accepter sa réponse et continuer à l’aimer autant même s’il ne ressentait pas le même désir que moi. Mais mon mari a immédiatement dit « oui ». L’appel que nous avons eu ouvre les côtes et met le feu dans le cœur ! Nous avons ensuite voulu que ce désir ne broie pas nos enfants. Nos enfants ont leur vie à faire, le choix des parents n’est pas le leur. En appelant anonymement une association, une personne m’a répondu que c’était possible d’adopter mais que nous devions nous orienter vers un « enfant à particularité, handicapé ». C’est là que notre histoire a démarré. Notre « oui » est devenu encore plus évident car nous nous sommes dit qu’il n’y avait personne pour les aimer. Nous nous sommes donné le temps car nous devions être réalistes. Puis, nous avons attendu 6 ans avant de pouvoir adopter. Nous avons laissé la vie nous amener là où elle voulait.
 
Quels sont les fruits, près de 10 ans plus tard, de la création de l’association Tombée du Nid ?

Nous avons trouvé cela très violent de réaliser que beaucoup d’enfants handicapés en France attendaient une famille. Tombée du nid a été créée, au départ, pour raconter notre histoire. Nous avons été tristes d’entendre que ces enfants n’étaient pas « aimables ». Nous n’avons pas la même définition de ce mot. Tout le monde mérite d’être aimé.
 
Comment votre entourage et votre famille ont pris cette décision d’adoption ?

Pas très bien… Mais nous avons eu des réactions très différentes. Par exemple, nous avons des amis toujours présents alors qu’eux-mêmes ont avorté d’un enfant handicapé et d’autres sont d’une violence étonnante.
 
Quel regard la société porte sur vous ? Comment le ressentez-vous ?

Nous savons depuis longtemps que nous sommes en marge. En adoptant nos trois enfants handicapés, nous avons compris que le handicap n’était pas forcément bien accueilli. Le handicap touche notre humanité dans notre fragilité et notre vulnérabilité. Il n’est plus question de religion ou de condition de milieu, c’est plus compliqué que cela. La souffrance et la peur génèrent souvent de la violence.
 
Distinguez-vous vos six premiers enfants et les trois derniers adoptés ?
C’est une vraie question. Ma crainte était de savoir si j’arriverais à reconnaître et à aimer ces enfants, qui ne sont pas nés de ma chair, autant qu’ils le méritent. J’avais peur de ne pas y arriver. Très étonnamment et je ne l’expliquerai jamais : je ne fais aucune différence parmi mes neuf enfants. Avec notre deuxième enfant adoptée, Marie-Garance, polyhandicapée, il y a quelque chose de très fusionnel, je la cherchais depuis toute éternité. Marie, notre première enfant adoptée, trisomique, nous a amenés à Marie-Garance, pierre angulaire de notre famille.
 
Face à la vulnérabilité de vos enfants, comment trouvez-vous la force d’avancer ?
Ils m’ont sensibilisée à la vulnérabilité et à la fragilité de mes autres enfants. Nous avons été plus délicats et avons ajusté le projet de vie que nous pouvions apporter à chacun de nos enfants. Marie-Garance peut mourir du jour au lendemain, mais c’est la même réalité pour nos autres enfants. J’ai changé de vision sur l’éducation en me projetant moins. C’est libérateur.
 
Quels sont vos espoirs pour vos enfants ?
Qu’ils soient heureux, qu’ils trouvent leur place, leur vocation, en étant travailleurs. La sanctification dans le travail est très importante. Ma foi est ancrée dans le quotidien. Notre cadeau de chaque jour est la sainteté de Marie-Garance. Notre premier désir de parents est que nos enfants soient des saints.
 
Quels découragements et difficultés vous habitent ?
Évidemment tout n’est pas rose. Nous avons beaucoup de mal à avoir des soins. Cela nous épuise et c’est très dur à vivre. Par exemple, pour notre dernier, Frédéric, nous lui avons fait faire des lunettes et l’hôpital s’est trompé en faisant une correction à l’envers ! Et l’an dernier, on a fait un fauteuil roulant de taille adulte pour Marie-Garance qui avait 5 ans… et les médecins se justifient de l’injustifiable. Même en étant très entourés, nous nous sentons très seuls. L’État nous broie avec l’administratif.
 
Qu’est-ce que vos enfants vous apprennent sur la vie ?

À vivre dans le présent. Chaque jour, la vie de Marie-Garance est une victoire et j’en rends grâce. Étonnamment, vivre et être heureux dans le présent ne m’angoisse pas. Mes enfants m’ont appris à ne pas tricoter le futur alors que la société nous pousse à cela.
 
Votre rapport à Dieu a-t-il évolué ?
Mon rapport marial a changé car je n’ai pas une relation simple avec ma mère. Ce n’était pas facile pour moi d’imaginer une tendresse infinie de la Vierge Marie. C’est en recevant nos deux filles, Marie et Marie-Garance, que j’ai compris combien la Vierge Marie m’aimait en s’invitant deux fois chez nous. Puis, nous sommes allés à Lourdes il y a quelques années avec nos neuf enfants. Aux piscines avec Marie-Garance, j’ai vécu un moment spirituel très fort.

Updated on 11 Septembre 2022
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