La bataille des Dardanelles

20 Janvier 2015 | par

Après quelques mois d’une fausse neutralité, l’Empire ottoman déclare enfin la guerre aux puissances alliées, le 1er novembre 1914, après avoir fermé les détroits aux navires russes, français et britanniques. De fait, dès le mois d’août, chacun savait que la Turquie, dont l’armée avait été réorganisée par l’Allemagne, se rangerait aux côtés des puissances centrales, afin de prendre sa revanche sur la Russie qui avait annexé une partie de l’Anatolie orientale, suite à la guerre russo-turque de 1877-1878.

La Russie se trouve alors obligée de distraire une partie de ses troupes du front européen pour mettre en place un front sur le Caucase, face aux Turcs. En réponse, dès novembre 1914, l’idée d’un débarquement allié dans le détroit des Dardanelles est à l’ordre du jour. Cette stratégie de diversion et de contournement est défendue en particulier par Winston Churchill, Premier Lord de l’Amirauté, mais à cause des hésitations administratives et de l’opposition des chefs militaires du front de l’Ouest, elle va prendre du retard.

Sur le papier, ce plan est pourtant pertinent. Il s’agit de prendre à revers l’Autriche-Hongrie, de soulager la Russie, et d’éliminer la Turquie en s’emparant d’Istanbul pour rouvrir les liaisons maritimes avec les ports russes de la mer Noire. Mais, à cause d’une sous-estimation de la puissance ottomane, que l’on pensait très affaiblie par les guerres balkaniques de 1912-1913, et surtout d’une très mauvaise préparation, cette opération, même si cela est encore de nos jours discuté par les historiens, va déboucher sur un fiasco pour les Alliés.

Le détroit des Dardanelles, long de 61 km, est le passage maritime qui relie la mer Égée à la mer de Marmara (elle-même reliée à la mer Noire par le détroit du Bosphore). La largeur de ce goulet étroit varie entre 1,2 et 6 km, pour une profondeur maximale de 82 m. Au Nord, le détroit est bordé par la presqu’île de Gallipoli (Çanakkale, en turc) dont la pointe sud constitue le cap Helles.

 

Une résistance imprévue

L’offensive franco-britannique des Dardanelles (en anglais : Campagne de Gallipoli) va se dérouler en trois temps : un assaut naval, une tentative de débarquement, et un désengagement après une contre-attaque turque imprévue.

Prévue initialement le 19 février 1915, l’attaque navale est retardée pour des raisons climatiques et ce n’est que le 26 février que la flotte alliée bombarde les batteries ottomanes. Ces bombardements s’avèrent inefficaces. Contre toute attente, les fortins côtiers turcs résistent de manière organisée et opiniâtre. Les opérations de déminage du détroit sont aussi un échec. Le 18 mars, le cuirassé Bouvet est coulé à 13h58, causant la mort de 600 marins français, dont le capitaine qui choisit de périr avec son bâtiment. Pourtant, malgré la perte du Bouvet, l’escadre britannique reste inconsciente du danger présenté par les mines dérivantes, croyant que cette perte avait été causée par des torpilles, et continuera à subir de lourdes pertes inutiles.

Le 20 avril 1915, les Alliés disposent enfin d’une force de 70 000 hommes, grâce à des renforts australiens et néo-zélandais. À l’aube du 25 avril, ce corps expéditionnaire, baptisé ANZAC, commandé par le général britannique Hamilton, débarque sur cinq petites plages au cap Helles. Plus au nord, d’autres troupes débarquent à Gaba Tepe, mais le courant marin les fait dériver de deux kilomètres vers une petite plage couverte d’éperons rocheux. Livrés à eux-mêmes, les soldats doivent escalader la crête de Chunul-Baïr, mais ils sont repoussés par les Turcs qui contrôlent les sommets, commandés par un jeune colonel, Mustapha Kemal, qui sera en 1923 le premier président de la République turque. Les positions se figeant, les tranchées font leur apparition. Par la suite, ce débarquement du 25 avril va être célébré chaque année en Nouvelle-Zélande et en Australie comme une fête nationale.

 

Les leçons d’un échec

Jusqu’à la fin mai, les Alliés lancent plusieurs attaques, toujours suivies de violentes contre-attaques sous le commandement du général allemand Otto Liman von Sanders, sans compter les ravages de la typhoïde et de la dysenterie.

Durant l’été, les Alliés veulent relancer la guerre de mouvement et débarquent dans la baie de Suvla dans la nuit du 6 au 7 août 1915, dans le but de couper la péninsule en deux, mais les unités, laissées sans instructions précises, s’enlisent.

Le 15 octobre, le général Monro, qui remplace Hamilton limogé, préconise l’évacuation. Contrairement à ce que l’on redoutait, l’évacuation de 100 000 hommes, 200 canons et 5 000 animaux, du 18 décembre 1915 au 8 janvier 1916, n’entraîne guère de pertes alliées. Les troupes alliées ne faisaient parfois aucun bruit pendant une heure, poussant les Turcs intrigués à sortir de leurs tranchées, qui étaient alors pris pour cible.

Cette vaine et sanglante offensive aura fait 56 000 morts (dont 10 000 français) du côté allié et à peu près autant du côté turc, auxquels il faut rajouter les maladies, tout aussi meurtrières. Mais elle sera étudiée de près par les militaires entre les deux guerres mondiales, en particulier par les Américains qui vont améliorer la tactique de l’amphibie qu’ils appliqueront avec succès en Afrique du Nord et en Italie, jusqu’au débarquement du 6 juin 1944. 

Updated on 06 Octobre 2016