L’accueil du handicap, miroir de nos fragilités

17 Novembre 2014 | par

En consacrant leur vie aux plus fragiles, des témoins comme Jean Vanier nous rappellent que l’acceptation de nos vulnérabilités est le premier pas dans celle de l’autre. Une force qui va puiser dans la faiblesse et qui semble aller à contre-courant de nos sociétés où succès et réussite sont glorifiés.

 

« Aimer ce n’est pas faire du bien aux gens, c’est leur révéler qu’ils ont une valeur », répète souvent Jean Vanier à ceux qui le rencontrent. Depuis un demi-siècle, ce regard est la matrice de L’Arche, l’œuvre de sa vie, qui a essaimé sur les cinq continents. Accueillir le handicap nécessite avant tout un décentrage de soi-même, un changement de perspective. Pour l’ancien officier de la marine royale, le sens de son charisme a été d’abord d’accepter que cette vulnérabilité existe. D’ouvrir les yeux, en un mot. Son œuvre aujourd’hui interpelle plus que jamais, surtout en des temps de crise économique et sociale où tant de personnes sont laissées sur le bord de la route. Dans son exhortation apostolique La Joie de l’Évangile, le pape François dénonce en termes forts ce qui est devenu l’un des thèmes récurrents de son pontificat : « la mondialisation de l’indifférence » ainsi qu’une « économie de l’exclusion ». À de multiples reprises, le pape vilipende la « culture du déchet » qui semble fleurir dans les sociétés occidentales ou économiquement prospères. Cette culture où « l’on considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter » est même promue, déplore-t-il (La Joie de l’Évangile, 53). Comme ses prédécesseurs mais avec une vigueur nouvelle, le pape argentin dénonce les excès d’une vision de l’existence fondée sur la rentabilité, exacerbée aujourd’hui dans des sociétés hyper-compétitives.

 

Des sociétés mal préparées

L’accueil du handicap n’est pourtant pas chose nouvelle. Dans

de nombreux pays européens, des lois favorisant l’insertion des personnes handicapées en milieu professionnel ont été votées dès les années 1970. C’est le cas notamment en Allemagne où la loi de 1974 fixe un quota d’embauche de travailleurs handicapés à 6 % pour les entreprises de plus de 20 salariés. Une disposition qui sera reprise en France en 1987 avec le même taux d’emploi prérequis pour ces personnes. Mais année après année, les rapports des instituts spécialisés montrent la difficulté d’embaucher ces personnes. Ainsi, en 2013, le Fonds d’insertion pour les personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) en France révélait que le taux d’emploi des handicapés atteignait 4,64 % pour un peu plus de 3 % seulement dans le secteur privé, bien en-deçà des 6 % légaux.

Les associations d’insertion de personnes handicapées rappellent souvent leur parcours du combattant pour se faire entendre. Et relèvent en définitive que c’est bien un environnement où l’on a du mal à penser le handicap qui pose problème. Pire, la crise a conduit certains États à ouvrir les activités médico-sociales au secteur marchand à but lucratif, comme le déplorait il y a quelques années Alain Duconseil, président de la Vie active, une association laïque du Pas-de-Calais d’insertion des personnes handicapées dans le monde du travail, qui fête cette année ses cinquante ans.

Au-delà de simples moyens à mettre en œuvre, il s’agit donc bien d’un regard nouveau à porter sur la fragilité. « Les débats politiques et sociaux réduisent souvent la personne en situation de handicap à des questions économiques, de professionnalisation, de quotas ou de places en établissement», peut-on lire sur le site Internet consacré à l’œuvre de Jean Vanier. Les normes sociales sont fortes et contraignantes et n’inclinent pas à changer de perspective. « La tyrannie de la normalité laisse peu de place pour être soi-même. Pour la fragilité. La normalité referme les gens sur eux-mêmes », déplorait Jean Vanier dans un entretien à l’hebdomadaire La Vie fin 2013. Cette « normalité », risque de détruire la capacité de solidarité, l’aptitude à écouter l’autre, le différent, à ne plus voir en lui une personne précieuse et importante», poursuivait-il. Les sociétés sont donc interpellées, invitées à un examen de conscience.

 

Se redécouvrir vulnérable

Ici, la question de la fin et des moyens d’y parvenir est posée. « Pour être une vraie réussite, à la fois économique et humaine, l’insertion a besoin d’être accompagnée dans le long terme » note Cyril Douillet, rédacteur en chef du journal Ombres et Lumières, la revue publiée par l’Office Chrétien des personnes Handicapées. « Elle doit devenir une histoire : une histoire d’hommes et de femmes prêts à contribuer au bien commun ; d’entreprises prêtes à faire une place à la différence. »

Pour secouer les esprits, la société civile s’organise et les initiatives fleurissent. Depuis 2009 par exemple, plusieurs associations comme L’Arche ou l’Adapei (Association Départementale des Amis et Parents de Personnes Handicapées Mentales) organisent un colloque intitulé : « Fragilités interdites ? » Le titre est en lui-même tout un programme. Chaque édition a été jusqu’ici un grand succès populaire. Une preuve que lorsque l’on touche à la question des plus vulnérables, chacun y retrouve peut-être un peu de soi. 

 

 

« Les travaux que vous menez ces jours-ci ont pour thème :“Vieillissement et handicap”. C’est un thème d’une grande actualité, très important pour l’Église. En effet, on observe, dans nos sociétés, la domination tyrannique d’une logique économique qui exclut et parfois tue, faisant aujourd’hui un très grand nombre de victimes, à commencer par nos personnes âgées. (…) La situation socio-démographique du vieillissement nous révèle clairement cette exclusion de la personne âgée, surtout si elle est malade, handicapée ou vulnérable. (…) La plénitude à laquelle tend toute vie humaine n’est pas en contradiction avec une situation de maladie et de souffrance. Par conséquent, le manque de santé et le handicap ne sont jamais une bonne raison pour exclure ou, pire encore, éliminer une personne ; la privation la plus grave que subissent les personnes âgées n’est pas l’affaiblissement de l’organisme et le handicap qui peut en résulter, mais l’abandon, l’exclusion et la privation d’amour. »

 

Message du pape François aux participants à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la vie, le 20 février 2014.

 

Updated on 06 Octobre 2016