L’Asie, terre de semence pour l’Église

30 Juin 2014 | par

Continent complexe et contrasté, l’Asie est un espace où les catholiques sont minoritaires mais dont les communautés sont en pleine expansion. Le pape François doit s’y rendre plusieurs fois ces prochains mois, confirmant les enjeux que représente l’espace asiatique pour l’avenir missionnaire de l’Église.

 

La scène remonte au 11 mai dernier. Une délégation d’évêques thaïlandais, emmenée par l’évêque émérite de Bangkok, présente au roi Bhumibol Adulyadej, qui fête son

87e anniversaire, ses vœux de santé et de prospérité. Puis les prélats bénissent le souverain et lui présentent les reliques des papes Jean-Paul II et Jean XXIII. La présentation des reliques des deux pontifes – fraîchement canonisés – en Thaïlande fut un événement de taille pour la petite communauté catholique du royaume, estimée à 400 000 fidèles, dans un pays de 65 millions d’habitants, à 90 % bouddhistes. Elles seront ensuite exposées dans les dix diocèses catholiques du pays. Cet événement est le symbole d’une Église qui se tourne de plus en plus vers le continent asiatique.

Benoît XVI avait déjà amorcé cette mutation en nommant début 2011 Mgr Savio Hon Tai-Fai, au poste de secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Salésien originaire de Hong Kong, Mgr Hon est le premier chinois nommé à un poste aussi élevé dans la Curie. Selon les données du dernier annuaire pontifical, l’Asie concentre près de 11 % des catholiques dans le monde, un chiffre en hausse. De 2009 à 2010, le continent asiatique a connu une augmentation de 1 695 prêtres quand l’Europe en perdait 905. Néanmoins, Joseph Ratzinger avait les yeux et le cœur ancrés dans le Vieux Continent, dont la déchristianisation était vécue douloureusement. Aujourd’hui, le pape François ne cache pas que l’une des priorités de son pontificat n’est plus cette Europe sécularisée que l’on regardait avec inquiétude, mais bien l’une de ces « périphéries » qui sont au cœur de sa vision pastorale. Et si les regards se sont déportés vers l’Amérique latine avec l’élection du premier pontife argentin, c’est aussi sur le continent asiatique que se joue l’avenir du christianisme.

 

Dans la tradition jésuite

François est d’abord un fils de saint Ignace et s’inscrit pleinement dans une filiation spirituelle missionnaire qui le porte vers l’Extrême-Orient. On pense en premier lieu à François-Xavier, l’un des compagnons d’Ignace de Loyola, évangélisateur du Japon au XVIe siècle, mort au large de la Chine et qui repose aujourd’hui à Goa en Inde. 

Après sa venue au Brésil à l’été 2013, et son déplacement en Terre Sainte à la fin du mois de mai, les prochains voyages apostoliques du pape vont se tourner vers l’Asie. La Corée du Sud attend François du 14 au 18 août pour la Journée mondiale de la jeunesse asiatique, dans la ville de Dajeon. Des dizaines de milliers de jeunes catholiques d’une trentaine de pays de la région sont attendus. Le pape devrait également béatifier 124 martyrs coréens, morts entre 1791 et 1888. Un voyage qui prendra une saveur particulière, quinze ans après l’exhortation apostolique de Jean-Paul II Ecclesia in Asia, dans une région où les tensions sont récurrentes avec la Corée du Nord et la Chine.

 

Une Église porteuse de réconciliation

Si le dynamisme missionnaire est réel dans certains pays comme la Corée du Sud où plus de 10 % de la population est catholique (5,3 millions), les prochains voyages asiatiques du souverain pontife revêtent aussi une dimension géopolitique indéniable. François devrait ainsi se rendre au Sri Lanka l’an prochain. Si les dates ne sont pas arrêtées, les évêques sur place, eux, se réjouissent déjà. Car le Sri Lanka est le symbole d’une terre où le sang a trop coulé. Pendant plus de 25 ans, la guerre civile qui a ravagé l’île a été très meurtrière et malgré le cessez-le-feu de 2009, la fracture est encore profonde entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule. Le 8 mai, lors de leur visite ad limina au Vatican, l’épiscopat sri-lankais expliquait ainsi que « la présence du pape sera un premier pas vers la réconciliation et la paix sociale sur l’île. »

En recevant les évêques sri-lankais, le pape a rappelé combien l’Église locale avait un rôle essentiel à jouer dans le processus de réconciliation. Dans le pays en effet, les braises couvent toujours sous la cendre. Fin avril, le gouvernement a mis en place une police spéciale dépendant directement du Premier ministre. Une initiative qui a alarmé les minorités de l’île, inquiètes d’une possible collusion entre cette nouvelle unité et le pouvoir sri-lankais, dominé par les partis bouddhistes nationalistes. Autre sujet d’inquiétude, l’enquête décidée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les crimes de guerre commis au Sri Lanka, ouverte à la suite de nombreuses plaintes d’ONG et de membres du clergé et qui fait craindre un répression des autorités.

 

Le Vietnam et la Chine, dossiers sensibles

Dans son entretien très remarqué accordé au Corriere della Sera, le pape François avait révélé ses contacts personnels avec le nouveau président chinois : « J’ai écrit une lettre au président Xi Jinping quand il a été élu, trois jours après moi. Et lui m’a répondu. Des rapports, il y en a. C’est un grand peuple à qui je veux du bien », expliquait le Saint-Père. Malgré l’estime personnelle, le poids de l’histoire et des blocages reste profond entre Pékin et le Vatican, en raison des ingérences du pouvoir communiste dans les nominations épiscopales et plus largement, la méfiance du pouvoir envers la religion. Le régime communiste vietnamien et les répressions récurrentes des catholiques provoquent aussi régulièrement l’inquiétude du Saint-Siège, même si les canaux diplomatiques fonctionnent discrètement. Face à l’athéisme d’état et à la complexité des dossiers dans ces régimes qui craignent toujours pour leur survie, l’Église a compris que pour faire entendre sa voix, un travail patient et silencieux était sans doute la meilleure des options. Cette œuvre est avant tout spirituelle comme l’a rappelé le pape lors de sa conférence de presse de retour de Terre Sainte, en évoquant les « martyrs contemporains » de ces Églises souterraines : « Nous devons nous rapprocher, dans certains cas, avec beaucoup de prudence, pour aller les aider. Nous devons beaucoup prier pour ces Églises qui souffrent ». Les semences d’espérance derrière l’enfouissement. Les petits pas sont là, même s’ils ne sont pas spectaculaires, et le Pape lui-même aura sans doute l’occasion de le vérifier lors de ces prochains voyages. 

 

« Dans la pensée des Pères synodaux, la difficulté s’intensifie du fait que Jésus est souvent perçu comme étranger à l’Asie. C’est un paradoxe que beaucoup d’Asiatiques ont tendance à considérer Jésus, né sur le sol asiatique, comme un occidental plutôt que comme une figure asiatique. Il était inévitable que l’annonce faite par les missionnaires occidentaux soit profondément influencée par les cultures d’où ils provenaient, et l’on ne peut nier que parfois même une certaine étroitesse de vues, une attitude défensive et un manque de sensibilité aient accompagné leurs efforts. Les Pères du Synode ont pris acte de cela comme d’un fait dont il faut tenir compte dans l’histoire de l’évangélisation, et ils n’ont pas condamné d’une manière sommaire les missionnaires pour “la figure occidentale” de Jésus. En même temps, ils ont profité de l’occasion pour “exprimer d’une façon très spéciale leur gratitude à tous les missionnaires, hommes et femmes, religieux et laïcs, étrangers et autochtones, qui ont apporté le message de Jésus Christ et le don de la foi” ».

 

Jean-Paul II, Exhortation apostolique Ecclesia in Asia, 6 novembre 1999


Updated on 06 Octobre 2016