Mexique : des écoles vertes

Un projet en faveur des pepenadores, les recycleurs de déchets sur les décharges autour de Oaxaca, est en train de devenir un modèle de développement pour la région tout entière.
15 Mai 2017 | par

Un projet en faveur des pepenadores, les recycleurs de déchets sur les décharges autour de Oaxaca, est en train de devenir un modèle de développement pour la région tout entière. Il concerne à la fois l’école, le travail, la santé, l’agriculture biologique, la sauvegarde de l’environnement et l’architecture écologique.

Un problème à résoudre sur le tableau noir : en additionnant 8 500 bouteilles en plastique à 11 000 cartons en Tetra Pak, qu’obtient-on ? Personne parmi nous ne sait répondre à cette question, mais de nombreux enfants des favelas de la périphérie d’Oaxaca le savent ! Ce sont des matériaux de récupération qu’ils ont eux-mêmes récoltés et préparés pour la construction de trois écoles vertes avec l’aide d’une ONG locale et grâce à la contribution de la Caritas Saint-Antoine. Nous sommes au sud-est du Mexique, une des régions les plus pauvres du pays, où l’on trouve des taux de développement humain semblables à ceux de l’Afrique sub-
saharienne. Pourtant, le Mexique est la 15e économie de la Planète, mais 90 % de la richesse est dans les mains de 2 % de la population. Il va de soi que pour résoudre les problèmes de pauvreté et d’inégalité, ce sont de connaissances et d’opportunités dont les Mexicains ont besoin. En un mot : d’écoles.
Les écoles vertes financées par la Caritas Saint-Antoine ne sont que des pièces d’une mosaïque bien plus grande commencée en 2009, lorsqu’un jeune Mexicain, José Carlos León Vargas, étudiant en Italie, et sa femme, Aurelia Annino, décident de faire fructifier leurs études sur la coopération en créant les bases d’un des projets les plus innovants pour le développement communautaire. « Nous voulions être présents dans un lieu où aucune ONG n’arrivait à travailler – explique Carlos. Nous avons choisi les favelas autour de la capitale Oaxaca et les pepenadores, les familles des recycleurs informels qui vivent près des grandes décharges. Ces zones de l’Amérique latine ressemblent aux camps de réfugiés, elles sont frappées par la violence, la drogue, le manque de services primaires comme l’eau, l’école, le système sanitaire. Ce sont des communautés désagrégées de migrants qui arrivent de diverses zones rurales et qui ont du mal à survivre. Sur tout cela, flotte l’odeur insupportable des décharges. »

Un système communautaire
Par quoi commencer ? D’abord par le nom de l’association, le choix est Sikanda, un mot en langue mixtèque, une des seize langues parlées dans la région, qui signifie « à l’action ». Puis, sept mois s’écoulent en dialoguant avec les personnes pour comprendre les problèmes et ébaucher des solutions. Aujourd’hui, Sikanda intervient dans quatre domaines : la santé, les revenus, l’intégration et l’alimentation. Chaque projet qui démarre touche chacun de ces champs d’action, comme dans un système bien conçu, en mettant en relation des institutions nationales et internationales, l’Église et les autorités locales.
Pour comprendre comment cela fonctionne, revenons à nos problèmes d’école de bouteilles de plastique et de Tetra Pak. Ces écoles sont des bijoux d’architecture éco-durable inventée par un architecte d’Oaxaca. Une chape en ciment, une structure en bois,  un rembourrage en bouteilles plastiques, une doublure en Tetra Pak, quatre fenêtres, deux portes, une installation électrique et des finitions qui cachent la pauvreté des matériaux.
À l’intérieur, la température est constante à 21°C, que ce soit pendant les journées de grand soleil ou quand il fait froid. Temps de construction : 6 jours. C’est presque une fête, avec la communauté tout entière au travail. Durée prévue : 25 longues années. Coûts ? 25 000 euros pour trois écoles de 60m2.
Mais ce qui compte le plus, c’est le miracle qui a lieu dans les écoles vertes. « Ici, le gouvernement accorde un permis pour construire des écoles et paie deux enseignants, mais il n’y a pas d’école. Les leçons ont alors lieu sous des cabanes en tôle brûlante ou, dehors, avec du matériel de fortune. »
À tous ces désagréments, il convient d’ajouter la malnutrition : « La plupart des enfants ne mangent pas assez ou ne consomment pas de légumes : un peu à cause de leur pauvreté, un peu par manque de connaissances sur l’alimentation. » Le résultat ? Plus de 30 % des élèves quittent l’école, et les parents sont pour la plupart analphabètes. « Avoir un lieu salubre et beau où étudier, équipé de livres et de matériel donne envie d’apprendre. » Mais pas seulement ! Aujourd’hui parmi les matières scolaires étudiées, quatre ont des parfums d’avenir : techniques de compostage, agriculture familiale, formation sur le recyclage des déchets, éléments d’hygiène. Chaque école a son potager, voilà donc un premier résultat : les enfants mangent plus de légumes et rapportent à la maison leur savoir-faire. Et ce n’est pas tout : « Les écoles vertes servent aussi pour former des adultes et comme salles communautaires où se rencontrer pour résoudre ensemble les problèmes. »
Encore un mot sur la méthode : « Tous les projets de Sikanda se fondent sur une approche interdisciplinaire et une méthodologie participative. Nous avons récupéré la technique du pase en cadena, qui, littéralement, signifie passage en chaîne, typique de la culture mexicaine, selon laquelle celui qui a un savoir-faire doit le transmettre à un autre. Tout ce que nous faisons est reproductible et garantit la participation des gens. » On perçoit déjà un nouvel avenir : « Ici, nous n’avons pas de personnel spécialisé dans le traitement des déchets. Aujourd’hui déjà, les personnes qui recyclent produisent une valeur non reconnue de 50 000 ¤ par mois. Sans compter la pollution, que l’actuelle façon de traiter les déchets cause dans un environnement parmi les plus riches en biodiversité. En outre, l’État de Oaxaca possède 40 % de la production bio du pays : il y a donc une demande croissante de compost, que même les enfants savent désormais produire. À tout cela, s’ajoute le fait que tous ceux qui le souhaitent, ont le savoir-faire pour se construire une maison à bas coût et à bas impact environnemental. » C’est dire que la communauté est désormais à l’action et personne ne pourra l’arrêter.

Updated on 15 Mai 2017
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