Pâques au Saint-Sépulcre.  Quand la géographie rejoint l’histoire

Frère Stéphane, franciscain frère mineur, en Terre sainte depuis une trentaine d’années. Passionné de Jérusalem et du Saint-Sépulcre, il nous ouvre les portes de la basilique la plus importante de la chrétienté.
17 Avril 2022 | par

Quel lien votre communauté a-t-elle avec les sanctuaires et le Saint-Sépulcre ?
Ma communauté (la communauté Saint-Sauveur, maison-mère des franciscains de Jérusalem) anime les liturgies dans les sanctuaires et les lieux saints, les jours de fête : ce sont 70 fêtes par an. L’histoire sanctifie l’année liturgique et nous fait revivre toute l’histoire du Salut. À Jérusalem, ce n’est pas l’histoire qui sanctifie mais c’est la géographie. Vous allez au tombeau de Jésus parce que c’est le lieu de la Résurrection. Dans les oraisons, là où vous avez « aujourd’hui », odie en latin, dans les lieux saints, vous avez « ici », hic en latin. Ce n’est pas parce qu’on est le jour de la fête que l’histoire du Salut se réactualise mais parce que on est sur lieu où l’évènement du Salut a eu lieu. Aller en pèlerinage en Terre sainte, c’est vivre une mini année liturgique. À Jérusalem, on ne dit pas la messe du jour mais la messe du lieu. Pâques au Saint-Sépulcre, c’est l’histoire qui rencontre la géographie !

Les catholiques appellent cette basilique « Saint-Sépulcre », les orthodoxes « église de la Résurrection ». Quelle signification de dénomination voyez-vous ?
C’est depuis les Croisades que cette basilique s’appelle le Saint-Sépulcre, avant c’était l’Anastasis, la basilique de la Résurrection. Il y a un seul tombeau et dans la basilique, chacune des églises a son lieu de culte. Chacun puise à la source commune qu’est le tombeau, le lieu de la Résurrection et qui est un lieu saint pour chacun. Chacun prie dans sa langue, sa tradition. La foi est commune, elle s’exprime culturellement de façon différente. Au Ier millénaire de l’Église, le Christ était perçu dans sa dimension plutôt divine. Depuis le Concile de Nicée, on sait que le Christ est vrai homme et vrai Dieu. Au Moyen Âge, on va davantage s’intéresser à un Christ homme.

Que voit-on au Saint-Sépulcre ?
La basilique du Saint-Sépulcre est un lieu partagé. Il y a un seul lieu saint phare, le tombeau de Jésus. Autour du tombeau, six églises sont présentes : les Grecs orthodoxes, les Franciscains, les Arméniens, les Coptes, les Syriaques et les Éthiopiens. Le Saint-Sépulcre est un lieu universel où chacun doit être incorporé. En y entrant, Dieu regarde chacun avec un grand sourire. Autour du tombeau, il y a des chrétiens de culture différente mais avec la même foi ! Chacun conflue vers cet espace exigu : le Christ est aimant, le tombeau est comme un aimant qui attire à lui tous ceux qui l’aiment. Ici, on est dérangé par l’autre mais l’autre est aussi important aux yeux de Dieu que moi.

Comment catholiques et orthodoxes se partagent-ils le Saint-Sépulcre ?
Le Saint-Sépulcre se trouve en plein milieu des souks de la vieille ville. Les pèlerins qui viennent à Jérusalem se laissent désorienter par cette promiscuité orientale qui se trouve à l’extérieur de la basilique et rentre évidemment à l’intérieur ! Le Saint-Sépulcre est la cathédrale du monde mais c’est aussi une église locale et les chrétiens de Jérusalem retrouvent la vie de la vieille ville dans leur lieu de culte. L’Église latine ne peut mettre de cloche en verre sur le Saint-Sépulcre pour éviter que l’Orient la pollue !

En tant que franciscain, comment préparez-vous la basilique pour Pâques ?
La messe du Jeudi saint est célébrée devant le tombeau, la liturgie du Vendredi saint est célébrée au Calvaire, la veillée pascale a lieu le samedi matin, alors que dans le monde entier elle a lieu le samedi soir. C’est Pie XII qui a redonné un caractère nocturne pour rendre la vérité des heures à la veillée pascale. Mais les églises orientales n’ont eu ni Pie XII ni le Concile Vatican II donc ces Églises continuent de célébrer les Jeudi, Vendredi et Samedi saints le matin et à Jérusalem, on a conservé le matin ; au Saint-Sépulcre, c’est une copropriété des églises chrétiennes, alors les horaires latins ne pouvaient être pris en compte. Vivre avec les autres nous oblige à les respecter et prendre conscience que notre vérité n’est pas plus vraie que la vérité des autres. Au Saint-Sépulcre, pour la veillée pascale, le feu sort du tombeau. Le dimanche matin de Pâques, à la fin de la messe, l’évêque commence une procession et fait trois fois le tour du tombeau (le tombeau est conçu pour qu’on en fasse le tour). Le Saint-Sépulcre est un soleil, les Églises sont des astres qui tournent autour. Lors des trois tours autour du tombeau, on s’arrête quatre fois, une fois au nord, au sud, à l’ouest et à l’est et on proclame les quatre Évangiles de la Résurrection : Matthieu, Marc, Luc et Jean. De Jérusalem, qui est l’Église-mère, l’Évangile rejoint le monde entier. La première veillée pascale dans le monde est donc celle du Saint-Sépulcre !

Les visiteurs sont-ils majoritairement des pèlerins du monde entier ou des chrétiens de Jérusalem ?
Ce sont les chrétiens de Jérusalem mais il y a aussi beaucoup de musulmans et de juifs qui passent au Saint-Sépulcre. Je prends alors conscience que le Christ est le rédempteur de chacun. Tout le monde ne sait pas forcément qu’il est sauvé par le Christ mais ce monde entier essaie de rentrer dans le tombeau, celui de leur rédempteur.

Comment vivez-vous avec les tensions ou rivalités entre chrétiens ?
Parfois, pendant une liturgie latine, on entend une liturgie byzantine qui ne célèbre pas la même fête. Par exemple, l’année dernière, pendant qu’on célébrait la messe de Pâques au tombeau, les coptes célébraient leur messe des Rameaux. Pendant qu’on chantait des Alléluia, eux brandissaient des Rameaux. Ce ne sont pas des rivalités, chacun célèbre dans sa culture et son calendrier, cela peut paraître surprenant pour le pèlerin latin. On se partage des lieux saints. Il n’y a pas d’autre lieu au monde autant œcuménique que le Saint-Sépulcre. Toutes ces Églises célèbrent la résurrection du Christ au même lieu. La Custodie de Terre sainte est présente à Jérusalem depuis huit siècles, de manière ininterrompue ; les Franciscains constituent un élément de continuité dans un pays de fluctuations.

Qu’aimez-vous transmettre et faire découvrir aux pèlerins et visiteurs ?
J’aime faire comprendre aux pèlerins que l’on est désorienté quand on vient au Saint-Sépulcre mais que nous avons tous l’amour du Christ ressuscité et on en vit. C’est un sacrifice de vivre avec les autres mais on est tellement mieux ! Quand on reste avec les siens, on est vite seul et on s’ennuie. Il est important de se dire que ce que l’on ne trouve pas beau plaît aux autres ! Le propriétaire du Saint-Sépulcre, c’est le Christ ressuscité. C’est lui l’aimant qui nous attire et qui nous aime.

Updated on 17 Avril 2022
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