Philippe Royer : « Remettre l’essentiel avant l’important »

Né en 1965, Philippe Royer a mené l’ensemble de sa carrière dans les secteurs agricole et agroalimentaire. À la tête de plusieurs entreprises, il est devenu en 2018 le président du mouvement Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC).
15 Novembre 2020 | par

Pourquoi avez-vous accepté de devenir président des EDC en 2018 ?
Lorsque j’ai rejoint les EDC en 2004, j’ai découvert un mouvement qui me permettait d’aligner vie professionnelle, personnelle et spirituelle. Alors que ces différents points sont souvent dissociés, c’est justement cette recherche d’union qui m’a intéressé. Cela m’a permis de me recentrer sur ma vie de prière et m’a procuré une grande paix intérieure. Lorsque j’ai été appelé à devenir président des EDC, je me suis dit que cela n’était pas raisonnable. Mais suivre le Christ n’est pas raisonnable non plus. J’ai donc accepté. Puis j’ai eu un long temps pendant lequel j’ai pu avoir un long discernement pour que le Seigneur me guide.
J’ai alors pu distinguer trois orientations que je m’attache à mettre en œuvre pendant mon mandat de quatre ans. La première est d’apprendre à s’ancrer dans la prière, en particulier pour des personnes qui ont souvent des emplois du temps chargés. Plus la barque est chargée, plus il faut prier, pour mettre sa journée sous le regard du Seigneur.
La seconde orientation concerne l’intelligence de la foi. Il faut mieux incarner la pensée sociale chrétienne — terme œcuménique qui traduit chez les catholiques la Doctrine sociale de l’Église. Cette pensée donne les balises, les repères fixes dans un monde en pleine mutation. Cette pensée, cette doctrine, est un véritable trésor.
Enfin, le troisième axe est d’agir à la transformation du monde, d’en être acteurs et non simples commentateurs. Bien ancrés dans la prière et avec l’intelligence de la foi, il faut agir dans la charité au service des plus démunis. Avec les EDC, nous demandons ainsi à chaque groupe de développer un projet. Certains vont aider les Apprentis d’Auteuil, d’autre vont visiter des prisonniers, d’autres encore vont agir auprès de chômeurs. Chaque groupe est invité à œuvrer là où il est, dans son éco-
système. Plus on se rapproche des plus pauvres, plus on se rapproche du Christ.

Y a-t-il une façon spécifiquement chrétienne d’être un dirigeant économique ?
Je ne pense pas. Par contre, il y a une nécessité de remettre l’essentiel avant l’important. Alors que nous sommes dans un monde qui ne sait plus s’arrêter, il faut le faire et prendre le temps de s’émerveiller. Il faut savoir rendre grâce de tout ce qui est donné, être conscient que l’action de dirigeant qui nous est donnée n’est que le déploiement des talents confiés par Dieu pour les mettre au service du Royaume.
À un moment dans ma vie, je m’attachais à l’important et y mettant une petite dose de prière, mais je me suis aperçu — comme saint Paul — que j’étais déçu que je ne pouvais pas faire tout le bien que je voulais. Je me suis rendu compte qu’il fallait changer de paradigme et repartir de l’essentiel : la foi et l’émerveillement devant la vie éternelle donnée à ceux qui suivent le Christ. Comprendre cela ne change pas un peu le reste, mais transfigure le reste et il y a alors une nécessité d’aligner toute sa vie. Il y a trop de gens qui s’épuisent dans l’agitation sans savoir s’arrêter et rendre grâce.

Est-ce qu’il vous arrive de prier pour les personnes qui vous sont confiées par vos responsabilités ?
Bien sûr ! Avant les moments importants, avec un client ou avec un salarié, je prends un temps de prière. Je me suis rendu compte que cela m’apaisait beaucoup et qu’après l’avoir confié au Seigneur, un rendez-vous se déroulait beaucoup mieux. Je prie pour tout ce que le Seigneur me donne de pouvoir gérer, je lui confie ma famille, mes entreprises et ses salariés, et maintenant les responsabilités que j’exerce aux EDC.

Les salariés de vos entreprises sont-ils au courant de votre foi ?
Tout à fait, d’autant qu’il serait difficile autrement avec mes fonctions aux EDC et mes prises de parole. Une personne d’une section syndicale m’a ainsi dit qu’elle avait vu mon intervention sur la chaîne KTO lors du Pèlerinage national au mois d’août sur la place de la prière.
Selon moi, il est nécessaire que les chrétiens soient à l’aise avec le fait de pouvoir parler de leur foi, du moment qu’ils ne jugent pas les autres et respectent leur position, l’altérité. Nous avons besoin de développer à nouveau une identité chrétienne, non pas identitaire ou intégriste, mais une identité qui part à la rencontre de l’autre en le respectant. Il ne s’agit pas de chercher à convertir l’autre. Pour prendre une métaphore du monde agricole, il nous faut semer et arroser. La récolte, elle, appartient au Seigneur, alors ne nous chargeons pas de son poids.

Face aux crises, quelle est la responsabilité des dirigeants chrétiens ?
La somme des individualismes ne fera pas le bien commun. Il est nécessaire de changer de paradigme pour réconcilier l’esprit d’entreprise et d’innovation — la co-création dans une optique chrétienne — et l’inclusion des plus fragiles ainsi que le respect de la Planète. Il faut un nouveau modèle, que l’on appelle « économie du bien commun », qui permette d’inclure ces éléments de base afin qu’ils ne soient pas des options. Il faut réconcilier trois urgences : sociale, environnementale et entrepreneuriale et retrouver une gestion globale et cohérente de l’économie, sans surconsommer de manière aberrante.
Dans Laudato si’, le pape François appelle à « construire des leaderships qui tracent des chemins » (n. 53). Aux EDC, nous nous sentons interpellés par cette demande, car il nous revient de faire partie de la solution. On ne peut pas laisser aux générations suivantes la tâche de la trouver. Nous avons vraiment besoin de nous lever et de nous dire que nous devons porter une nouvelle économie. Nous sommes d’accord sur la nécessité de changer le monde, mais la difficulté est que l’on voudrait que ce soient les autres qui changent et pas nous. Chacun doit être amené à se poser la question : « comment moi, là où je suis, puis-je contribuer à ce changement de paradigme ? ». C’est par la somme des conversions individuelles — sociales, spirituelles ou encore environnementales — qu’on créera un élan.

Êtes-vous inquiet pour le monde qui vient ?
Je suis plein d’espérance, ce qui n’empêche pas d’être pragmatique. Nous sommes dans une période de mutation qui pourrait durer une trentaine d’années, commençant dans les années 2000 et continuant jusqu’à 2030. Cette mutation va contribuer à l’espérance de quelque chose de nouveau. Il faut être plein d’espérance, mais sans se mentir et sans se cacher que toute mutation apporte son lot de souffrances, de chaos. On ne passe jamais du monde d’hier au monde de demain, les changements sont longs.
Les chrétiens doivent être engagés dans cette transformation, avec une attitude de compassion là où il y aura le chaos, comme on peut déjà le voir exister. Le chrétien sait accueillir la difficulté individuelle mais aussi transformer l’épreuve pour être animé par la joie de la foi. Comme le manifeste la Passion du Christ, il y a des épreuves qui sont révélatrices de l’amour.

Updated on 15 Novembre 2020
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