Rencontre avec... Christian Venard, aumônier militaire

29 Octobre 2013 | par

Le père Christian Venard, prêtre depuis 1997, a été nommé aumônier militaire l’année suivante. Aumônier du 17e Régiment parachutiste à Montauban, il a vécu les derniers instants des deux militaires assassinés par Mohamed Merah, en mars 2012. Sur le terrain, il a accompagné les troupes françaises du Kosovo au Liban en passant par l’Afghanistan et le Mali. Il vient de publier Le prêtre et la guerre ( éditions Tallandier)

 

Quel est spécifiquement le rôle de l’Église en terrain militaire ?

Il faut d’abord bien comprendre que l’Église ne va pas spontanément vers les militaires, mais intervient sur demande de l’état-major. Notre rôle est double : le premier est spécifiquement cultuel, c’est-à-dire celui d’assurer auprès des militaires les sacrements, messe ou confession, et pourquoi pas sur les théâtres d’opération de préparer au baptême ou à la confirmation, et évidement être présent quand il y a des morts. La deuxième mission est plus un accompagnement humain. Le fait de ne pas avoir de grade hiérarchique nous permet d’avoir des contacts avec tous, du simple soldat au général. Ce rôle transversal nous permet d’assurer un regard humain au sein

des armées.

 

Au cours de votre carrière d’aumônier militaire, avez-vous senti un besoin spirituel plus fort au contact du « terrain » ?

Il faut rester réaliste. On a sans doute encore les images de la Première Guerre mondiale où dès les premiers instants du conflit, les églises se sont remplies. Nous sommes dans une société très sécularisée, laïcisée parfois même à l’extrême, et les militaires n’échappent pas à ce grand mouvement de sécularisation. Mais il est vrai qu’en Opex (opérations extérieures), il y a parfois une proximité plus forte avec l’aumônier, du fait de la séparation avec la famille, mais aussi quand il y a confrontation directe avec la mort ou l’extrême violence, des interrogations surgissent et l’on va souvent se retourner vers lui, que l’on soit croyant ou non. J’ai le souvenir d’être rentré à Tombouctou avec les premières troupes françaises, et à la première messe que j’ai célébrée à l’aéroport de la ville, la moitié du détachement est venu alors que beaucoup ne sont pas catholiques pratiquants. Tous ont ressenti ce besoin de « marquer le coup ». C’est à l’aumônier ensuite de donner à chacun l’opportunité d’être nourri en fonction de son niveau de foi.

 

L’Église a son mot à dire sur la guerre parce qu’on parle de la mort ?

Il y a d’abord une réflexion au niveau théorique, ce que l’Église peut dire de la guerre, de par son expérience bimillénaire et sa réflexion théologique, par exemple autour de la théorie de la « guerre juste » ou de la réflexion sur le droit dans la guerre. L’Église peut avoir une parole forte, on l’a vu récemment avec les prises de parole du pape François sur la Syrie, une parole qui a des réelles répercussions. L’autre réflexion est celle de l’aumônier militaire, qui est le dépositaire d’un paradoxe : celui d’une foi où le Christ lui-même nous dit « celui qui prendra l’épée périra lui-même par l’épée », celui du cinquième commandement interdisant de tuer. Cela nécessite une réflexion et un accompagnement pour comprendre que ce que recherche le militaire n’est évidemment pas de tuer des gens, de faire la guerre, mais qu’il est parfois contraint et même dédié, par une fonction régalienne de l’état, à exercer un certain type de violence.

 

N’y a-t-il pas une contradiction entre une Église au service de la paix et le fait d’être aumônier sur des terrains où l’on pratique parfois la guerre ?

Il faut d’abord prêcher par réalisme : la guerre est, c’est un fait. Elle existe depuis que l’homme est l’homme, même si nous souhaiterions tous un monde de paix. Le théologien y verra une des conséquences du péché originel, mais soyons pragmatiques, la guerre est un état de fait. La présence de l’Église n’est pas là pour justifier la guerre, ni la bénir, ce qui a pu exister dans l’histoire et qui est odieux, mais elle est au contraire dans la guerre pour y apporter une forme d’humanité. On l’a vu au Moyen Âge, quand elle a institué les « trêves de Dieu », pour que la guerre soit la moins inhumaine possible. Et nous avons tous à y travailler, du Saint-Père et sa diplomatie vaticane jusqu’au plus simple militaire croyant, et à essayer, dans une activité malheureusement trop humaine, d’y mettre le plus d’humanité possible.

 

Aujourd’hui, de nombreux fronts ont lieu dans des pays à majorité musulmane, certains y voient une agression de « croisés », de chrétiens. Que répondez-vous ?

Il ne faut pas tomber dans le piège de la dialectique d’un certain nombre de terroristes islamistes et des organisations qui se parent de l’islam pour mener le djihad contre l’impérialisme occidental et les « croisés ». On peut d’abord sourire gentiment sur le fait que les armées occidentales seraient des armées de croisés quand on voit le taux très bas de pratique religieuse ! Plus profondément, je crois qu’il faut d’abord renvoyer cette question à nos frères musulmans, en leur demandant d’expliquer, en tant que musulmans vivant en Occident, que nos armées ne luttent pas contre une religion. Quand nous allons combattre au Mali, nous le faisons non pour combattre l’islam, mais bien des terroristes qui se parent de l’islam. De même, quand nous sommes intervenus au Kosovo, il n’était pas question d’aller attaquer l’Église orthodoxe serbe, mais mettre fin à un conflit entre Serbes et Albanais. Il est important de désamorcer le piège de cette question-là, et c’est aussi le rôle des aumôniers, quel que soit le culte qu’ils représentent.

 

En un siècle, la guerre a fortement évolué (théâtres lointains, sophistications des armes, nouvelles terminologies…). La parole de l’Église doit-elle s’adapter à ces mutations?

Il est certain que l’Église ne peut passer à côté d’une vraie réflexion. Prenons la question des drones qui ne sont plus uniquement des moyens de renseignements mais deviennent des moyens d’attaque. Il y a là une véritable réflexion éthique à mener par rapport à ce qu’est le conflit, la guerre, et le statut-même du militaire car jusqu’ici, celui-ci était certes parfois amené à donner la mort, mais avec la contrepartie qu’on la lui donne aussi. C’est la même chose pour les pilotes qui doivent larguer des bombes à dix kilomètres d’altitude et qui parlent toujours de « cibles », cette cible étant parfois un véhicule blindé avec dix hommes qui meurent. L’Église ne peut donc passer à côté de cette réflexion, mais elle ne l’a jamais occultée, comme lors de l’apparition des armes à feu ou de la mise en place des moyens atomiques. Nous avons besoin que cette réflexion se poursuive, qu’elle soit nourrie au sein de l’Église, par les théologiens et les conseils pontificaux, afin qu’elle puisse apporter aux militaires des différentes nations, un éclairage sur ce qui est raisonnable ou non. 

 

Questionnaire de saint Antoine

Connaissez-vous saint Antoine ? Quelle image avez-vous de lui ?


L’image que j’en ai, c’est une blague de parachutiste : Un parachutiste tombe de son avion en torche et s’écrie : « Ô grand saint Antoine, sauvez-moi ! » Il entend alors une voix disant : « Quel saint Antoine ? » « Saint Antoine de Padoue ! » À ce moment, le parachutiste entend une voix : « Désolé, mais c’est l’autre. » 

 

Comment priez-vous ?

Avec le bréviaire, et lors de la messe quotidienne, même si les conditions sont parfois difficiles sur le terrain. Comme aumônier militaire, je suis sensible aussi à une forme de prière un peu immédiate qui est de prendre tous ceux que nous côtoyons et de les porter aux pieds du Christ. 

 

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

De toute évidence au cours de la messe, et je n’arriverais pas à mener ma mission si je n’avais pas cette proximité avec Jésus, au cours de l’Eucharistie. 

 

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ? 

C’est d’avoir pu conduire un de mes vieux capitaines parachutistes au sacrement du baptême.

 


Updated on 06 Octobre 2016