Rencontre avec... Édouard Cortès

19 Juin 2015 | par

Journaliste reporter d’images de formation, Édouard Cortès a contracté très tôt le virus de la marche et du voyage. Après avoir parcouru des milliers de kilomètres sur les routes vers Kaboul ou Saïgon, il a rallié Jérusalem en 2007 avec sa femme Mathilde, avant de partir comme pèlerin en famille vers Rome en 2012.



Certains pèlerins s’interrogent sur les raisons pour lesquelles ils ont pris la route, pourquoi avez-vous choisi de « pèleriner » ?

Pourquoi partons-nous marcher ? C’est la question que l’on ne devrait jamais poser à un pèlerin car les raisons sont toujours un peu secrètes. C’est peut-être le chemin qui affine au fur et à mesure la réponse et donne des explications à cette démarche de partir en pèlerinage. Dans mon cas, il y a eu à la fois l’envie d’une découverte, d’un dépassement, ainsi qu’une profonde aspiration à l’absolu, comme une attraction céleste. N’étant pas un « pro » de la prière et de la vie chrétienne quotidienne, je pars de temps en temps me dérouiller les jambes et dérouiller aussi le socle de ma foi sur les routes de pèlerinages. Cela me motive et me fait grandir, à la fois dans ma vie spirituelle et dans ma vie d’homme.

 

Sans cette dynamique du chemin, vous manquerait-il quelque chose ?

Oui, depuis quinze ans que je marche, j’ai du mal à concevoir qu’on puisse rejoindre un lieu de pèlerinage sans passer par les pieds. Je suis allé récemment à Turin pour vénérer le Saint-Suaire, et nous avons pris la voiture. J’ai été frustré de cette arrivée rapide. J’ai eu de la peine à ne pas utiliser mes pieds car la marche permet de creuser ce désir du lieu à atteindre. Le moyen de la marche permet cette chose assez magique de réaliser l’unité de vie entre le corps, l’âme et l’intelligence. Si tant de gens aujourd’hui décident de rallier Compostelle, pour ne citer qu’un seul exemple, c’est bien que la marche a cette dimension importante.

 

En quoi l’effort physique et le voyage intérieur se nourrissent-ils l’un de l’autre ?

Pour les nuls de la vie spirituelle comme moi, ceux qui ont du mal à prier régulièrement, le fait de sentir les ampoules qui se forment, le soleil qui vous frappe ou le sac à dos qui pèse, nous rappelle que nous sommes des êtres de chair, des êtres incarnés, et cela se fait devant la puissance insondable de la nature. La forêt, les chemins terreux, la vie au rythme du soleil sont une véritable réconciliation avec cette nature. Quand on marche, on est dans l’émerveillement permanent, et pour peu qu’on ait un peu l’esprit franciscain, il est facile de louer le Seigneur quand on part sur les chemins de la via Francigena ou ceux de Saint-Jacques, parce que la nature est belle. Cet environnement est une manière pour moi de vivres les Béatitudes, sur la route, d’offrir et de me laisser façonner.

 

« Marcher, c’est se laisser rencontrer » dites-vous, que voulez-vous dire ?

On part souvent avec cette idée que l’on va faire des rencontres, c’était d’ailleurs l’une de mes justifications quand je prenais la route, il y a quelques années. C’est une très belle idée, mais qui ne tient pas longtemps car quand on se fait pèlerin, on entre dans une démarche où l’on se laisse faire, où l’on se laisse pétrir par la route. On ne choisit pas ses rencontres. Le pèlerinage est ainsi d’abord une démarche d’abandon qui laisse la place au Seigneur. Dans ce laisser-faire, il y a cette porte par laquelle Dieu vient nous rencontrer.

 

Peut-on dire que le monde contemporain, où la nature est abîmée, est plus propice au pèlerinage qu’auparavant ?

Il est plus propice dans un sens, car aujourd’hui on peut noter un « défaut de nature » et d’actions saines envers cet environnement. Nos vies entre quatre murs, saturées d’écrans et de mails sont difficilement compatibles avec ce que Dieu nous a donné : une vie plus à l’écoute et plus en harmonie avec ce qui nous entoure, une vie où l’on comprend réellement la difficulté à produire la nourriture qu’il y a dans nos assiettes. Aujourd’hui, nous retournons à la nature un peu par rejet de cette société. Je pense aussi qu’il y a quelque chose d’important dans la compréhension chrétienne de l’environnement, dans une écologie qui ne soit pas uniquement environnementale d’ailleurs, et à ce titre, j’attends avec grande impatience l’encyclique écologique du pape François. Je crois qu’il est important d’être en recherche, et les pèlerins participent à cette recherche, par ce retour à la nature. C’est par le pèlerinage que nous avons compris, avec ma femme Mathilde, l’importance d’être plus en adéquation avec cette nature, avec la Création.  C’est pour cela que nous amorçons aujourd’hui, en douceur, une forme de retour à la terre.

 

Cette expérience de retour à la terre est-elle un nouveau pèlerinage pour vous et votre famille ?

Nous continuons dans l’aventure, celle de la vie et de la foi. Quand on part du Puy-en-Velay pour aller à Compostelle, il y a un chemin qui passe par Rocamadour. Notre rêve est d’ouvrir un gîte pèlerin sur ces chemins. Nous avons acheté un grand terrain au bord du GR6, non loin de Rocamadour, ville pèlerine, et nous avons le projet d’ouvrir une petite ferme, à la fois pour nourrir les pèlerins et nourrir notre famille. Après avoir marché pendant plusieurs années sur les chemins de pèlerinages de Rome ou de Jérusalem, après avoir été tant accueillis par des hospitaliers, des particuliers, des prêtres, des paroisses ou des mairies, nous ressentons à présent le désir d’accueillir à notre tour. C’est une manière pour nous de rester en mouvement en rencontrant tous ces pèlerins qui viendront à la maison. 

 

QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Connaissez-vous saint Antoine de Padoue, et si oui, quelle image avez-vous de ce saint ?

Saint Antoine, c’est d’abord pour moi la grotte à Brive-la-Gaillarde, non loin de là où nous habitons, et sa présence dans la région. Il est aussi, comme pour beaucoup, un fidèle allié lorsque je perds des objets. Saint Antoine est enfin celui qui porte l’Enfant-Jésus.



Comment priez-vous ?

Je prie avec mes jambes, c’est ma meilleure façon d’être dans la prière. Lorsque je me mets en route s’enclenche alors une petite musique au fond de moi. La prière que j’exerce est celle du pèlerin russe : « Seigneur Jésus, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi ». Cette prière du cœur se fait dans la déambulation, mes pas en sont le métronome.



Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

Sans surprise, lorsque je marche ! Et aussi dans les bras de mon épouse.



Y a t-il un événement qui vous a rendu particulièrement heureux cette année ?

Oui, je peux dire qu’il s’agit d’une grâce de saint Joseph, obtenue à la suite d’une neuvaine de prière.

 

Updated on 06 Octobre 2016