Rencontre avec... Rose-Marie Miqueau

28 Juillet 2014 | par

Professeur agrégé d’histoire et de philosophie, Rose-Marie Miqueau a quitté l’éducation nationale en 1974 pour se consacrer aux questions d’éducation, à travers des conférences et la publication de livres et d’articles.  Elle a fondé les cercles Saint-Maximilien Kolbe, qui réunissent des enseignants et des parents désireux d’apprendre à mieux comprendre les besoins éducatifs de la jeunesse, dans une spiritualité chrétienne.

 

 

Fréquemment, le pape François rappelle l’importance de ces trois mots : « s’il te plaît, merci, pardon ». Quelle résonance ont-ils chez vous ?

Ils résonnent d’autant plus qu’ils touchent l’une des conséquences les plus ultimes du problème de la relation à l’autre, avec les moyens dont disposent les enfants, qui rétrécissent terriblement leur relation à l’espace. Je m’explique. Il est très frappant de voir que les enfants n’ont plus de relation ni au temps, ni à l’espace : on les laisse se coucher un peu n’importe quand, et il y a aussi le problème de nos villes qui ne rythment plus du tout de manière naturelle la relation au temps. Pour l’espace c’est la même chose avec la multiplication des écrans qui réduisent considérablement le champ visuel, et qui donnent en même temps aux enfants l’impression illusoire d’accéder au monde entier. Ils ne voient donc plus ce qu’il se passe autour d’eux. De la même façon, il est étonnant de constater que l’on a de plus en plus d’enfants qui n’écoutent plus, ce sont des enfants qui « entendent la musique mais pas les paroles » pourrait-on dire. Les mots du pape François sont donc très révélateurs. Mais attention à ne pas soigner le symptôme avant le problème de fond. Il y a là une éducation à l’observation qui est essentielle.

                                           

Il faut donc rééduquer à la politesse selon vous ?

Oui, mais c’est un pansement sur un cancer ! Je suis bien sûr tout à fait favorable à ce que l’on réapprenne les formules élémentaires de politesse, mais derrière, l’enjeu est plus profond : comme toutes ces petites choses qui conduisent aux grandes, il est important que ce que l’on transmet éveille l’observation à l’autre. Ce qui me frappe, c’est de voir des jeunes qui ne disent pas « bonjour » ou « merci », tout simplement parce qu’ils ne voient pas qu’on est là. Ce sont des enfants absents du monde réel. Leur univers est marqué par un absentéisme et une sorte de nombrilisme qui fait qu’ils ne voient pas qu’il y a du monde autour d’eux. Il s’agit vraiment d’un travail d’écoute et de relation à l’autre qui est à remettre en œuvre.

 

La politesse n’est –elle pas un style de vie un peu obsolète de nos jours ?

Bien sûr que non ! La politesse est la marque du respect de l’autre, mais à condition que l’on sache bien qu’il y a un autre. Apprendre la politesse à un enfant n’est rien si l’on ne lui ouvre pas le cœur et l’intelligence de l’autre dans le même temps.

 

La politesse est-elle une notion chrétienne ?

C’est quelque chose de chrétien mais aussi et surtout quelque chose de fondamentalement humain. Les animaux ne disent pas « merci » ou « pardon ». Dans la croissance humaine, la politesse est la manifestation que l’autre – que mon vis-à-vis – est une personne, ce dont un bébé n’a pas conscience du tout. Éveiller la conscience à l’autre, c’est lui apprendre le respect de l’autre, quel qu’il soit. Ce respect passe par des signes et la politesse est cet ensemble de signes qui exprime le respect de l’autre. C’est donc une notion éminemment chrétienne ; Jean-Paul II aurait dit « éminemment humaine ».

 

Comment expliquez-vous que certains jeunes, plus que d’autres, aient du mal avec les règles élémentaires de la politesse ?

C’est parce que la politesse est un signe et quand elle n’exprime rien, il n’y a pas de raison de s’en servir. Ces jeunes manquent de quelque chose. Il faut rappeler que delinquere en latin signifie « commettre un délit » mais également « manquer de ». Ces jeunes n’ont pas reçu l’essentiel c’est-à-dire cette transformation que doit assurer l’éducation entre l’agressivité du bébé, qui est de l’énergie, en amour afin de devenir un homme libre, c’est-à-dire responsable. Chez ces jeunes, ce travail n’a jamais été fait. La forme ne peut donc pas y être ! Les jeunes qu’on vilipende comme mal éduqués et impolis n’ont pas appris à aimer. Pour un enfant qui est élevé dans un milieu aimant où l’on se respecte, cela à du sens. La politesse n’est qu’un moyen au service d’une fin qui est l’amour du prochain. C’est en cela qu’elle est une valeur éminemment chrétienne.

 

Rassurez-nous, il n’est jamais trop tard pour apprendre la politesse ?

Jamais ! Bien heureusement, l’amour s’apprend à tous les âges parce que c’est foncièrement séduisant. Mais on apprend souvent par l’exemple et le témoignage, c’est d’ailleurs pour cela que le Christ nous demande d’être ses témoins. Et ces jeunes dont on parlait à l’instant ont hélas manqué de témoins.

 

Certains voient la politesse comme une valeur un peu réactionnaire…

Absolument pas. Au contraire elle est on ne peut plus moderne car elle exprime selon moi un regain de civilisation. Je pense que la politesse est la grande signification du retour à la civilisation. À l’inverse du barbare, l’homme civilisé est celui qui sait avoir avec l’autre une vraie relation, par la politesse et par l’écoute. Ce sont pour moi les deux piliers de la construction d’une civilisation. Ces notions capitales sont fondamentalement liées car la politesse exprime que l’on est à l’écoute de l’autre, ce qui est le plus important aujourd’hui. 

 

 

QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Connaissez-vous saint Antoine de Padoue et si oui, quelle image avez-vous de ce saint ?

Je le connais très mal mais l’image que j’en ai est l’amour, la protection des enfants, à travers la figure de l’Enfant-Jésus, qu’il porte sur ses genoux bien-sûr.

 

Comment priez-vous ?

De nombreuses manières. Il y a la prière collective, la récitation des prières et des psaumes, l’adoration, la méditation et l’oraison… J’essaie de faire miens tous ces chemins vers Dieu. Mais j’attache beaucoup d’importance à l’oraison. On apprenait ça à nos petits élèves : l’oraison, c’est la culture de l’attention.

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

 

C’est difficile de répondre car il est tout le temps là. Mes petits élèves me disaient parfois quand il y avait un problème : « On va aller en parler à votre conjoint » et ils fonçaient à la chapelle ! C’était un grand honneur. Je dirais que c’est dans la prière que je me sens vraiment auprès de Dieu.

 

Qu’est-ce qui vous a rendu la plus heureuse cette année ?

Plus qu’un événement ou une rencontre, c’est de voir des professeurs comprendre que l’enfant est ce qu’on le fait devenir et venir me dire : « Ce n’est pas possible qu’ils ratent presque tout, ça vient forcément de nous ». Pour moi c’est une révolution car je suis de la génération soixante-huitarde qui voulait que le professeur ait toujours raison alors que les élèves étaient des abrutis. Aujourd’hui les choses changent, la famille élargie n’existe plus et il y a un renouveau qui ne peut se faire sans l’école. Le corps enseignant a changé, ce changement chez mes collègues est absolument magnifique et me rend vraiment heureuse.


 

 

Updated on 06 Octobre 2016