Soins palliatifs : une leçon de vie
« Ces 10 mois de maladie, si pitoyables en apparence, avec ce corps qui fout le camp de tous côtés, à coup sûr, ce sont les dix plus beaux mois de ma vie, les plus beaux de notre amour ; jamais nous ne nous sommes tant aimés ». C’est ce qu’un homme, décédé aujourd’hui, écrivait à son épouse, alors qu’il était dans une unité de soins palliatifs. Les derniers instants de la vie peuvent parfois être l’occasion de vivre des choses que l’on n’aurait jamais vécues à un autre moment de sa vie. On apprend alors à regarder ce qui fait la beauté et la richesse d’une vie. Roseline, infirmière en soins palliatifs, se souvient d’une femme auprès de qui elle était et ne savait que dire devant sa souffrance : « C’est difficile ce que vous vivez » et elle de répondre « Oui, mais vous êtes là ! ». Face à cette réalité de terrain, les évêques français affirment que « donner la mort pour supprimer la souffrance n’est ni un soin ni un accompagnement : c’est au contraire supprimer la personne souffrante et interrompre toute relation ». C’est une grave transgression d’un interdit qui structure notre vie sociale. Le « Tu ne tueras pas » demeure une exigence morale inéluctable et, pour le croyant, un commandement de Dieu.
Sortir de l’individualisme
C’est pour cela que proposer le choix de l’aide active à mourir semble enfoncer notre humanité dans l’individualisme mortifère ; face à cette attitude, l’accompagnement d’un proche jusqu’au bout permet de déployer les cœurs. Camille, trentenaire tourangelle, évoque son frère, Tugdual, malade pendant cinq ans, souffrant « de manière incommensurable », mais ayant vite converti son « Pourquoi ? » en « Pour quoi ? ». Ce jeune homme, décédé à l’âge de 24 ans, fut « dépouillé de tout : sa santé éclatante, son rêve professionnel, son appel à fonder un foyer, puis son physique et son tempérament modifiés à cause de la violence des traitements ». Sa famille, à ses côtés jusqu’à la fin, était « guidée » par lui. À la fin de sa vie, Tugdual, traversé par « l’incompréhension, sans révolte », souhaitait que sa souffrance permette de « sauver des âmes », d’aider d’autres personnes. « Notre société, si sensible à la souffrance des personnes en fin de vie, se doit d’apporter à tous ceux qui en ont besoin les moyens d’accompagnement et de soins palliatifs qui respectent la vie humaine », peut-on lire dans une déclaration commune juive-catholique de 2007. « La véritable compassion ne peut se traduire par le fait de provoquer délibérément la mort d’autrui » assuraient aussi le grand rabbin et l’archevêque de Paris.
Quatre points essentiels
Pour Roseline, les soins palliatifs, par la qualité des soins et de présence dispensés, répondent de manière unique à une forme de solitude originelle de l’être humain face à l’approche de la mort avec un questionnement autour de la finitude et du sens de l’existence. Les soins palliatifs rassurent le malade sur quatre points essentiels : « Je ne t’abandonnerai pas ; Je ne te laisserai pas souffrir ; Je ne te prolongerai pas de manière anormale ; Je te respecterai tant dans ton autonomie que dans ta vulnérabilité ». Cette infirmière garde dans son cœur le souvenir d’un homme au visage défiguré par la maladie. Un jour, « à la fin du soin, voyant son regard plein de douleur, je lui dis qu’en prenant soin de lui, je ne m’arrête pas à son apparence extérieure mais que c’est la beauté de son être intérieur que je vois et qu’il est aussi digne aujourd’hui qu’il y a quelques mois avant la maladie. C’est alors que je le vois fondre en larmes et ajouter avec un sourire qui remontait jusqu’à ses oreilles : C’est extraordinaire ! ». Trois jours plus tard, cet homme est décédé mais « avec l’assurance qu’il restait infiniment digne, jusqu’à son dernier souffle. » Les soins palliatifs montrent qu’être dépendant n’est pas une déchéance, mais être relié à l’autre.
Les « miracles du minuscule»
Une infirmière en soins palliatifs développe un lien privilégié avec les malades et leurs proches, tant par sa compétence professionnelle que par la qualité de son être. Les malades et leurs proches ont besoin de personnes qui ont conscience d’être « vulnérables » comme eux. Cette vulnérabilité devient une vertu relationnelle qui se manifeste par une qualité d’écoute et de présence permettant tous ces « miracles du minuscule » : un sourire, frapper avant d’entrer, etc., qui viennent ensoleiller une journée. « C’était un moment très dur, dit une personne malade, mais sans votre sourire, le monde se serait écroulé », confie encore cette infirmière. « Caresser une personne âgée, selon le pape François, c’est la même espérance que caresser un enfant, car le début de la vie et la fin sont toujours un mystère qu’il faut respecter, accompagner, soigner. Aimer ». Tous ces gestes, si petits soient-ils, sont des soulagements.
Accepter la finitude naturelle
Le pape François, dans une audience sur saint Joseph, rappelait que Benoît XVI avait la lucidité de dire : « Je suis devant l’obscurité de la mort, la porte obscure de la mort ». « On cherche par tous les moyens d’écarter la pensée de notre finitude, s’illusionnant ainsi d’ôter à la mort son pouvoir et chasser la peur », ajoutait le pape François pour qui la soi-disant culture du « bien-être » tente d’évacuer la réalité de la mort. Notre société de plus en plus sécularisée a du mal à accepter la finitude naturelle. Les soins palliatifs sont un don pour soulager, apaiser, entourer et aider à mourir sereinement.