Tous les savoirs du monde

01 Janvier 1900 | par

Créée par décret du 3 janvier 1994, la Bibliothèque nationale de France a ouvert ses portes le 20 décembre dernier. Les missions de cet ouvrage gigantesque restent la conservation, la catalogage et la valorisation des collections. Et pour fêter son ouverture, la B.N.F. a organisé une superbe exposition au titre ambitieux: «Tous les savoirs du monde».

Sur les bords de Seine, quatre tours de verre surprennent le visiteur par leur imposante stature. Au milieu: des jardins établissent une atmosphère sereine, propice à la réflexion. Autour: tout un quartier en cours de rénovation.

La Bibliothèque de France, située sur le site de «Tolbiac», dans le XIIIe arrondissement de Paris, contraste étrangement avec l’immeuble ancien, les murs chargés de moulures, les rayonnages en bois ciré de la Bibliothèque nationale, installée à Paris rue Richelieu. La fusion des deux bâtiments, décidée par le conseil des ministres le 21 juillet 1993, forme la Bibliothèque nationale de France, baptisée «Bibliothèque François Mitterrand» par le président Jacques Chirac, dont l’ouverture, le 20 décembre dernier, correspond à l’inauguration du site de Tolbiac. Les missions de cette B.N.F. demeurent la conservation, la catalogage et la communication des collections. Plus vaste, plus diversifiée dans ses collections désormais réparties dans deux lieux, la B.N.F. est ainsi devenue l’un des principaux partenaires du grand réseau (d’échange et de partage) des bibliothèques françaises.

Le site traditionnel de «Richelieu» ne perd pas pour autant de son prestige dans le partage des collections. Les plus riches des départements spécialisés, tels que les manuscrits, les estampes et photographies, les cartes et plans, le département musique, celui des arts du spectacles... restent, en effet, à leur place. Ces départements conservent des collections prestigieuses, dont les plus anciennes ont été rassemblées par les rois de France dès la fin du XIVe siècle, et qui contribuent à la renommée internationale de l’établissement. Les achats, dons, legs, dations et dépôts complètent harmonieusement les collections patrimoniales existantes et contribuent au rayonnement de la bibliothèque.

Trois départements de l’ancienne Bibliothèque nationale composent le noyau des collections de Tolbiac: le département des livres imprimés, avec sa réserve de livres rares et précieux, celui des périodiques et celui de la phonothèque et de l’audiovisuel.

Déjà commencé, leur déménagement se terminera au cours de l’année 1997. A Tolbiac, les lecteurs se répartiront entre la bibliothèque publique et celle consacrée à la recherche, les deux étant pareillement divisées en quatre thématiques: sciences et techniques, littérature et art, sciences politique, juridiques et économiques, et enfin, philosophie, histoire, sciences de l’homme et de la société. Près de 300 000 volumes et 5 000 titres de périodiques seront ainsi librement accessibles, à terme, sur un total d’environ 10 millions de livres et 350 000 titres de périodiques.

Pour illustrer la richesse et la diversité du fond documentaire et des collections de la Bibliothèque nationale de France, ses responsables ont eu l’idée d’organiser une exposition qui a débuté en même temps que l’inauguration du bâtiment de Tolbiac.

Présentée sur les deux sites, elle a pour titre: «Tous les savoirs du monde: encyclopédie et bibliothèques de Sumer au XXIe siècle». Comment, depuis l’invention de l’écriture, les civilisations ont-elles rassemblé les savoirs pour les conserver, les partager et les transmettre? Tel est le thème central de cet événement, véritable plongée dans l’histoire du désir de savoir. Sur 5000 ans d’histoire, 600 documents donnent à voir la permanence du rêve encyclopédique.

Robert Schaer, directeur du développement culture de la B.N.F., présente l’exposition dont il assure le commissariat général. «L’encyclopédisme me semble à l’ordre du jour, dit-il, aussi bien à la Bibliothèque nationale de France que dans la société contemporaine. Avec l’ouverture de Tolbiac, nos fonds, qui étaient déjà particulièrement riches dans les domaines littéraires, ont été largement complétés dans les secteurs des sciences exactes, du droit et de l’économie. Plus qu’un bibliothèque supplémentaire, l’ouverture de Tolbiac représente un élan sans précédent donné à la diffusion des connaissances.»

La scénographie de l’exposition a été conçue telle un itinéraire initiatique et pédagogique. Le parcours traverse une succession de dix univers, en mettant en rapport les œuvres et documents présentés, avec l’histoire des idées. Chaque univers a sa couleur propre, son ambiance qui enveloppe le visiteur et le projette de Sumer à Alexandrie, d’Orient en Occident, de la Renaissance à l’ère des réseaux, de la Chine à l’Europe des Lumières. Le visiteur remonte ainsi le temps, pénètre dans chacun de ses univers culturels et s’imprègne de sa conception de l’organisation du savoir.

La Mésopotamie ancienne. Ainsi, dès l’entrée, accompagné par un bruissement de feuilles, chacun plonge dans une époque où inscrire signifie seulement tracer. Sumer, en Mésopotamie, est le lieu de la naissance de l’écriture. Dix stèles présentent des tablettes, corpus de listes d’objets classés par thème, que nous ont transmis les scribes, résultat d’un travail revu et enrichi sur près de trois millénaires, pour classer les mots de leur langue, les signes de leur écriture... Ces tablettes témoignent déjà d’une pensée systématique qui ne cesse de se développer jusque dans les catalogues des premières bibliothèques de terre.

Les sources antiques: classer ou énumérer, deux conceptions du savoir. Les sources antiques sont évoquées à travers six documents clés: papyrus égyptien, tablettes alexandrines, L’Iliade d’Homère, La Métaphysique d’Aristote, La Géographie de Ptolémée, L’Histoire naturelle de Pline. Pendant l’Antiquité grecque, l’idée de tous les savoirs du monde se concrétise pour la première fois à Alexandrie où le géographe Ptolémée dessine les cartes de sa Géographie.

Parchemin illuminé au XVIe siècle pour François Ier, de bleu azur rehaussé d’or, cette carte de l’Antiquité transcrit la première image du monde. Aristote et Pline: l’un classe, l’autre énumère. Ce sont deux manières d’aborder le savoir qui se retrouveront pendant tout le parcours de l’exposition.

L’Occident et l’Orient médiéval: le livre du monde entre savoir profane et savoir sacré. Guidé comme par les pages géantes d’un livre, le visiteur traverse les dix siècles de l’univers médiéval. Il peut ainsi contempler des originaux exceptionnels: les manuscrits enluminés où la lecture du monde mis en peinture démontre la perfection du divin. Au Moyen-Age, le savoir est un idéal de sagesse, transmis par les textes: la Bible, le Coran ou le Talmud. Cette traversée du Moyen-Age comporte deux volets: l’Occident chrétien et l’Orient arabe et judaïque, mis en regard l’un de l’autre, pour mettre en exergue les échanges, les allers et retour entre ces deux mondes.

De la Renaissance à l’Age classique: la conquête du savoir. Avec la Renaissance, le monde s’ouvre. Le cercle de ceux qui ont accès au savoir s’élargit. Les documents les plus significatifs de cette période sont présentés, telles des éditions originales de Rabelais ou de Budé.

A l’Age classique intervient une profonde mutation: l’idée de progrès dans la connaissance. L’encyclopédie n’est plus le recueil de tous les textes hérités de l’Antiquité. Elle devient l’histoire des découvertes progressives. C’est la conquête du savoir, en même temps que celle du Nouveau Monde.

L’encyclopédisme chinois: la compilation absolue des savoirs. Le visiteur aborde le monde énigmatique de la Chine à travers une cinquantaine de documents particulièrement significatifs, détenus par le département des manuscrits orientaux, et présentés le long d’un grand mur, tendu de jaune impérial.

Le Siècle des Lumières: L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, la somme des savoirs. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est la quintessence du savoir au Siècle des Lumières. Elle est présentée dans une salle de lecture dans laquelle sont également proposés des facs-similés que chacun peut feuilleter à loisir. La genèse de L’Encyclopédie est évoquée, notamment les sources où sont allés puiser Diderot et d’Alembert.

Les XIXe et XXe siècles: «Tout le savoir pour tout le monde». Aux conceptions systématiques héritées de Diderot succède une entreprise plus pragmatique mais tout aussi démesurée: la tentation de l’exhaustivité à travers le dictionnaire universel. Des documents originaux retracent la construction des bibliothèque encyclopédiques comme celles de Londres et de Paris. Place est faite également à l’ironie avec des manuscrits de Flaubert qui voulait que Bouvard et Pécuchet soit l’encyclopédie de la bêtise.

L’aube de IIIe millénaire: l’ère des nouvelles technologies. L’espace consacré à cette période récente traduit les interrogations de nos contemporains sur la dématérialisation progressive des supports du savoirs. L’imprimé s’efface et l’information est désormais portée par des bornes informatiques sur des écrans.

Le parcours de l’exposition à «Tolbiac» s’achève sur une interrogation que livre Michel Serres sur la manière dont ces nouvelles technologies vont transformer le contenu même de la connaissance scientifique. A «Richelieu», les expositions permettent un traitement plus thématique du propos, présentant l’encyclopédisme botanique et zoologique depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle avec «Les grands livres de la nature» d’une part et, l’encyclopédisme matériel dont témoignent les cabinets de curiosités avec «L’inventaire des merveilles du monde».

Updated on 06 Octobre 2016