Une chance au paradis

Il n’y a qu’une seule façon de vaincre la pauvreté, les abus et aussi les conséquences du Covid-19 : retourner au travail. C’est pour cela que nous aidons un groupe de religieuses au Mindoro occidental (Philippines) à créer 87 micro-entreprises.
22 Mai 2022 | par

« Je demande parfois au Seigneur comment il a eu l’idée de lancer une poignée d’îles comme ici. Un paradis, si on les regarde d’en haut, mais si compliqué lorsqu’on le vit d’en bas. » Ce sont les mots de Sœur Rosanna Favaro, originaire de la région italienne de la Vénétie et missionnaire depuis 30 ans au Mindoro occidental, une des deux provinces sur l’île philippine portant le même nom. Pour être précis, il s’agit d’une des 7 000 îles – dont 3 000 sont habitées – de l’archipel. « Imaginez la difficulté des déplacements, des communications, et des services basilaires pour les habitants des îles mineures qui sont privés des biens essentiels, de l’accès à l’eau potable, de la santé, de la nourriture ou encore de l’école. »
À ces anciens problèmes aggravés par la corruption bien répandue dans ce pays asiatique, se sont ajoutées d’autres difficultés. La première, de plus en plus préoccupante ces dernières années, est la fréquence élevée des cyclones dévastateurs. À cause des changements climatiques, ceux-ci frappent le pays 15 à 20 fois par an en détruisant tout sur leur passage. Cependant, le dernier fléau a été la pandémie qui a été encore plus funeste : « Les gens ont perdu leur travail, et pour ceux qui ont un travail à la journée, cela est encore plus dramatique. La plupart des enfants n’ont pas accès à l’instruction en ligne, et les services de santé – déjà insuffisants en temps normal – sont saturés par le nombre de malades. » La situation sociale aussi a empiré : « La violence dans les familles a explosé et de nombreuses souffrances sont restées cachées par le fait de devoir rester enfermé chez soi ; ceci a limité notre possibilité d’intervention ».
Pour renverser cette tendance et donner la chance d’une vie meilleure, il faut redonner aux personnes la possibilité de travailler. C’est ce que font déjà les religieuses, en aidant les habitants de la province à créer 87 micro-entreprises familiales à San Jose, la ville où elles œuvrent. Un projet auquel la Caritas Saint-Antoine participe, en collaboration avec Via Pacis de Trente (Italie), une association engagée depuis des années dans le sud-est de l’Asie, et grâce surtout au soutien de ses lecteurs.
Les sœurs et l’Église locale savent réagir, Sœur Rosanna peut bien en témoigner à la suite de ses 30 ans de mission ! Au début cela n’a pas été facile : « En 1992, je faisais partie du premier groupe des Servantes du Très-Saint-Sacrement qui avaient été appelées par le nouveau vicaire apostolique du Mindoro occidental pour aider l’Église locale. J’étais fascinée par la culture orientale et j’étais donc enthousiaste et reconnaissante d’appartenir à cette nouvelle mission. » Mais la réalité a été, dans un certain sens, bouleversante. « Je rentrais d’une brève expérience missionnaire en Colombie. À l’époque, à Mindoro, il n’y avait pas de téléphone, seules quelques personnes avaient l’électricité, l’eau potable était un luxe et l’assistance médicale un rêve irréalisable. J’avais trouvé cela très difficile de réussir à intégrer cette réalité si différente, pour devenir une sœur en chemin avec ces personnes. »
Dès les premiers jours, j’avais bien compris que n’importe quel projet ou activité quotidienne serait entravé par la géographie des lieux. Pour mieux nous expliquer cela, Sœur Rosanna raconte l’histoire d’une maman de trois enfants, rencontrée au début de sa mission. « Cette femme était arrivée chez nous après que le médecin eut diagnostiqué une leucémie à son enfant de 10 ans. La seule chance de le sauver était d’aller à Manille, la capitale. Un voyage impossible pour quelqu’un dans ces conditions. Mais elle était tout de même partie avec le peu que nous avions pu lui donner pour l’aider. Elle nous avait laissé les deux autres enfants en nous montrant une confiance énorme qui nous avait touchées. Elle est finalement rentrée avec le corps de son enfant, mort, enveloppé dans des feuilles de bananiers car elle n’avait pas d’argent pour un cercueil. J’ai été profondément marquée par sa force et sa résilience : deux caractéristiques que je retrouve et admire dans ce peuple pauvre mais digne. »
Mindoro est la septième île par grandeur de l’archipel mais les difficultés rencontrées par ses habitants sont réelles. « Au début, ce qui m’angoissait le plus était la condition des enfants, raconte Sœur Rosanna. Ceux d’entre eux qui pouvaient fréquenter l’école devaient se mettre en route très tôt le matin et plus ils étaient éloignés de l’école, plus ils étaient pauvres. On pouvait comprendre le degré de pauvreté par la couleur que leur uniforme prenait le long du parcours : moins clair, plus noir, jusqu’à être carrément sale et usé Et avec la poussière s’accumulaient les lacunes et les retards scolaires ». Les degrés de pauvreté étaient visibles sur le corps de chaque enfant. Les intelligences étaient gâchées. « Cette injustice était inacceptable pour nous, religieuses. Nous avons donc décidé d’investir sur l’école en tout premier lieu. »
L’autre domaine qui demandait une intervention urgente concernait et concerne encore les femmes. Elles sont les plus pauvres parmi les pauvres, à cause d’un héritage culturel difficile à changer. « Initialement, ce sont les mères qui ont commencé à nous raconter des abus sur les fillettes – se souvient Sœur Rosanna -, souvent par des membres de la famille. Elles ont manifesté une confiance énorme envers nous. » Le tissu social n’aide pas non plus. « Les frustrations sont noyées dans l’alcool. Ici, une bouteille de gin coûte moins cher qu’une bière. » Les maisons comptent une seule salle servant de cuisine et de dortoir. La promiscuité règne et la pauvreté matérielle s’accompagne de la pauvreté humaine. Nous avons commencé à accueillir des jeunes filles enceintes sans rien leur demander, pour sauver des enfants non voulus et leur donner un avenir. Nous sommes devenues la famille de ces jeunes mères abandonnées. » D’où l’idée de proposer des projets de formation humaine et professionnelle pour les femmes, qui ont donné vie à des milliers de micro-
entreprises et des milliers de vies finalement dignes.

Recommencer avec le travail
La Caritas Saint-Antoine, avec l’association Via Pacis, a joué un rôle important dans ces actions concrètes dès 2007. Soutenir le projet contre les conséquences du Covid-19 n’a été que la continuation naturelle d’un travail pour la promotion humaine qui dure depuis des années. « Nous avons demandé à la Caritas Saint-Antoine de nous aider à redonner des moyens de travail à 87 familles de San Jose, explique Sœur Rosanna, en considérant les activités les plus demandées dans la région : ouverture de petits magasins, vente de repas cuits, un champ pour cultiver des légumes, des vélos avec un chariot pour les vendeurs de produits alimentaires, production de poisson séché au soleil, barques à moteur et filets pour la pêche, production et vente d’algues marines. » Le 21 décembre 2021, la Caritas Saint-Antoine a accordé 30 000 euros pour ce projet qui est encore en cours de réalisation.
« Saint Antoine, affirme Sœur Rosanna, est très connu dans les Philippines. » Les habitants de Mindoro ressentent sa présence dans leurs vies quotidiennes : « La plus grande cantine de l’île lui est consacrée. Dans certains villages, saint Antoine a porté l’eau potable ou des cours de couture. Dans d’autres, il a offert des chambres pour les malades de passage qui arrivent des îles mineures. Partout, il a redonné le sourire aux enfants des familles pauvres. Dans cet archipel, beau mais difficile, il est réconfortant de savoir que quelqu’un nous aide à améliorer la vie de ces personnes. »

Updated on 22 Mai 2022
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